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U2 LETTRE CIVILE

en quoi le révérend docteur s'est trompé, s'étant écarté eu ce point de l'opinion authentique du révérend docteur Abulfeda, auteur très-canonique chez les Turcs.

Je pourrais citer M. Sale, moitié Anglais, moitié AraheS qui nous a donné la seule bonne traduction que nous ayons du divin Komn ou Alcoran ; mais pour cela je ne voudrais pas accuser mon critique d'un mensonge imprimé; car je me pique d'être poli. Je me bornerai seulement à remarquer qu'il est difficile de faire des généalogies. Ce n'est pas que je conteste à Mahomet sa noblesse ; à Dieu ne plaise ! Il descendait sans doute d'Ismaël, Ismaël d'Adam, et moi aussi. Mahomet, mon critique, et moi, nous sommes parents, et il faut en user civilement avec sa famille.

II. C'est une grande question de savoir si Mahomet avait deux mois ou trois mois quand il perdit son père; je suis persuadé dans le fond de l'âme qu'il n'avait que deux mois; mais je ne dis- puterai avec aucun iman sur cet article. De grands hommes remarquent que son bien et celui de sa mère consistaient en cinq petits chameaux ; je ferais peut-être plus de cas d'un histo- rien qui montrerait qu'il porta les armes à l'âge de quatorze ans, comme le disent Godabi et Zabbadi : car c'est quelque chose d'apprendre que le courage de ce prophète conquérant se soit déployé de bonne heure.

Ni moi, ni l'illustre savant qui me relève si bien, ne savons précisément combien de temps Mahomet fut facteur de la veuve Cadige, qu'il épousa depuis. Je veux croire avec lui que ce ma- riage se fit, comme il le dit, avec beaucoup de pompe et de ma- gnificence, entre une marchande de chameaux et un homme qui n'avait rien, dans un pays où l'on manque de tout.

Il est dit dans les auteurs arabes qu'il eut de son oncle douze écus d'or en mariage ; apparemment qu'il dépensa tout pour ses noces, si elles furent si pompeuses.

III. J'avais cru que Mahomet avait mené une vie assez obscure, jusqu'au temps où il jeta les fondements de la révolution d'une grande partie du monde; mais j'avoue que ses historiens n'ont pas manqué de rapporter qu'il donna, depuis son mariage, quarante moutons à sa nourrice : on infère de là, avec raison, qu'il était très-riche, et que par conséquent il fit de grandes choses. Si cela est, je me suis grossièrement trompé; et je vois

1. Voltaire l'appelle ainsi parce que, né en Angleterre, il avait demeuré vingt- cinq ans en Arabie.

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