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418 PLAIDOYER

OÙ sont excommuniés les fauteurs du théâtre, c'est-à-dire les rois, les princes, les Sopliocles et les Corneilles? Un cabaretier, au contraire, est essentiellement de la communion des fidèles, puisque c'est chez lui que les fidèles boivent et mangent.

Les fermiers généraux eux-mêmes, quoiqu'ils fussent tous chevaliers dans la république romaine, quoiqu'ils soient colonnes chez nous, sont maudits dans l'Écriture : « S'il n'écoute pas l'Église, qu'il soit regardé comme un païen et comme un fermier général, sicut ethnicus et publicanus ^ . » L'apôtre ne dit point qu'il soit regardé comme un cabaretier de la Courtille ; il s'en donne bien de garde.

Au contraire, c'est par un cabaret, et même une cabaretière, que les premiers triomphes du saint peuple juif commencèrent. La belle Rahab, vous le savez, messieurs, tenait un cabaret à Jé- richo, dans le vaste pays de Setim. Elle était zonah, du mot hé- breu zun, qui signifie cabaret, et rien de plus. (Et c'est ce que je tiens de M. Telles, qui vient souvent chez moi.) Elle reçut les espions du saint peuple; elle trahit pour lui sa patrie; elle fut l'heureuse cause que, les murailles de Jéricho étant tombées au bruit de la trompette et des voix des Juifs, la nation chérie tua les hommes, les femmes, les filles, les enfants, les bœufs, les brebis, et les ânes.

Quelques interprètes soutiennent que Rahab était non-seule- ment cabaretière, mais fille de joie. A Dieu ne plaise que je contredise ces grands hommes ; mais si elle avait été une simple fille de joie, une fille de rempart, Salomon, prince de Juda, aurait-il daigné l'épouser? Je laisse le reste à vos sublimes réflexions.

Vous voyez, juges augustes du Boulevart et de la Courtille, quelle prééminence eut de tous les temps le cabaret sur le théâtre. Vous frémissez de l'indigne proposition de maître Beaumont, qui prétend me faire quitter la Courtille pour le rempart. J'ose plaider ma cause moi-même, parce que là où la raison est évidente l'éloquence est inutile. Si elle succombait, cette raison quelque- fois mal accueillie chez les hommes, je mettrais alors ma cause -

��1. Matlh., wiii, 17.

2. \oici coinnu'ut, diins ]e lieciteil des facéties parisiennes jww les six premiers mois de Van 1760, se termine cet alinéa:

« Je mettrais alors ma cause entre les mains de maître Ganchat ou de maître Hayer, ou de maître Caveirac, ou de maître Abraham Cliaumeix, ou de tel autre prand homme, et enfin j'en appellerais au futur concile. »

L'appel au futur concile était le refrain des jansénistes. (B.)

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