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DE RAMPONEAU. ^]^

veut pas que dans sa patrie il y ait des comédies, mais il y veut des cabarets; il regrette ce beau jour de son enfance où il vit tous les Genevois ivres; il souhaite que les filles dansent toutes nues au cabarets

Nous espérons que les mœurs se perfectionneront bientôt jusqu'à parvenir à ce dernier degré de la politesse. Alors maître Beaumont lui-même sera très-assidu chez moi, à la Courtille. Il ne songera plus à me produire sur le rempart ; il sentira ce qu'on doit à un cabaretier.

Feu monseigneur le cardinal de Fleury disait que les fermiers généraux étaient les colonnes de l'État-. Si cela est, nous sommes la base de ces colonnes : car, sans nous, plus de produit dans les aides; et, sans les aides, comment l'État pourrait-il aider ses alliés, et s'aider lui-même contre ses ennemis? M. Silhouette, qui a tenu le tonneau des finances^ moins de temps que je n'ai tenu ceux de mes vins de Brie, a voulu faire quelque peine au corps des fer- miers; mais il a respecté le nôtre.

Si nous sommes nécessaires à la puissance temporelle, nous le sommes encore plus à la spirituelle, qui est si au-dessus de l'autre. C'est chez nous que le peuple célèbre les fêtes ; c'est pour nous qu'on abandonne souvent, trois jours de suite, dans les campagnes, les travaux nécessaires, mais profanes, de la charrue, pour venir chez nous sanctifier les jours de salut et de miséri- corde; c'est là qu'on perd heureusement cette raison frivole, or- gueilleuse, inquiète, curieuse, si contraire à la simplicité du chrétien, comme maître Beaumont lui-même est forcé d'en con- venir; c'est là qu'en ruinant sa santé on fournit aux médecins de nouvelles découvertes ; c'est là que tant de filles, qui peut-être auraient langui dans la stérilité, acquièrent une fécondité heu- reuse qui produit tant d'enfants bien élevés, utiles à l'Église et au royaume, et qu'on voit peupler les grands chemins pour remplir le vide de nos villes dépeuplées.

Que dira maître Beaumont si je lui montre les saints rituels,

��où « chacun, se livrant sans gêne aux amusements de son goût, joue, cause, lit, boit, ou fume ». (B.)

1. J.-J. Rousseau, dans sa même lettre, dit qu'il «voudrait bien nous (aux Genevois) croire les yeux et les cœurs assez chastes pour supporter un tel spec- tacle, et que de jeunes personnes dans cet état fussent à Genève, comme à Sparte, couvertes de Phonnêieté publique ». (B.)

2. Voltaire rappelle encore ce mot de Fleurv, dans son petit écrit intitulé Des Païens et des Sous-Fermiers : voyez année 1765.

3. Silhouette n'avait tenu le tonneau des finances que huit mois et demi.

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