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116 PLAIDOYER

Je suis baptisé, messieurs, et mon nom est Genest de Ram- poneau, cabaretierde la Courtille.

Vous avez tremblé, ô Gaudon ma partie! et vous, son éloquent protecteur, vous tremblez à ce nom de saint Genest, qui, ayant paru sur le théâtre de Rome, comme vous voulez me produire sur celui du RoulevartS ou Roulevert, fut miraculeusement con- verti en jouant la comédie. Il convertit même une partie de la cour de l'empereur, si on m'a dit vrai; il reçut la couronne du martyre, si je ne me trompe. Vous me préparez, maître Beau- mont, un martyre bien plus cruel ; vous me criez d'une voix triomphante : Ramponeau, montrez-vous, ou payez.

Je ne payerai point, messieurs, et je ne me montrerai point sur le théâtre. J'ai fait un marché, il est vrai ; mais, comme dit le fameux Grec dont j'ai entendu parler à la Courtille : « Si ce que j'ai promis est injuste, je n'ai rien promis ».

Maître Beaumont prétend que si Jean-Jacques Rousseau, ci- toyen de Genève, s'est fait voir marchant à quatre pattes sur le théâtre des Fossés-Saint-Germain -, Genest de Ramponeau, citoyen de la Courtille, ne doit point rougir de se montrer sur ses deux pieds ; mais la cour verra aisément le faux de ce sophisme.

Jean-Jacques est un hérétique, et je suis catholique; Jean- Jacques n'a comparu que par procureur, et on veut me faire com- paraître en personne ; Jean-Jacques a comparu en dépit des lois, et c'est en vertu des lois qu'on veut me montrer au peuple; Jean- Jacques a été faiseur de comédies, et moi, je suis un honnête ca- baretier. On sait ce qu'on doit à la dignité des professions. Néron voulut avilir les chevaliers romains jusqu'à les faire monter sur le théâtre ; mais il n'osa y contraindre les cabaretiers.

Si la cour avait pu Ure un petit livre que Jean-Jacques, in- digné de sa gloire, et honteux d'avoir travaillé pour les spectacles, a lâché contre les spectacles mêmes, elle verrait que ce Rousseau préfère hautement les marchands de vin aux histrions'. Il ne

��1 . On devrait dire boulevert, parce qu'autrefois le rempart était couvert de gazon, sur lequel on jouait à la boule ; on appelait le gazon le vert; de là le mot boule-vert, terme que les Anglaisent rendu exactement par buwlinijgreeii. Les Parisiens croient bien prononcer en disant boulevart : le pauvre peuple ! [Noie de Voltaire.)

— Je donne cette note telle qu'elle est dans les éditions de 17(3t). Dans les éditions de Kchl et dans toutes leurs réimpressions, au lieu de l'exclamation qui la termine on lit: « Le pauvre peuple dit boulevert. n (B.)

— Voyez l'article Coii.evart, dans le Dictionnaire philosophique , tome WIII, page 30.

'2. Dans les l'hilosophes, comédie de Palissot, jouée le '2 mai i7t)0.

3. Dans sa lettre à d'Alembert contre les spectacles, il fait l'éloge des cercles,

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