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que le récipiendaire ne peut savoir ce que ses confrères moins opulents que lui pensent en secret ; 2o parce que aucun d’eux ne porte envie au récipiendaire.

Quand on ne fait pas honneur à son siècle par ses ouvrages, c’est une étrange témérité de décrier son siècle.

Quand on est à peine homme de lettres, et nullement philosophe, il ne sied pas de dire que notre nation n’a qu’une fausse littérature et une vaine philosophie.

Quand on a traduit et outré même la Prière du déiste[1] composée par Pope ; quand on a été privé six mois entiers de sa charge en province[2] pour avoir traduit et envenimé cette formule du déisme ; quand enfin on a été redevable à des philosophes de la jouissance de cette charge, c’est manquer à la fois à la reconnaissance, à la vérité, à la justice, que d’accuser les philosophes d’impiété ; et c’est insulter à toutes les bienséances de se donner les airs de parler de religion dans un discours public, devant une académie qui a pour maxime et pour loi de n’en jamais parler dans ses assemblées.

Quand on prononce devant une académie un de ces discours dont on parle un jour ou deux, et que même quelquefois on porte au pied du trône, c’est être coupable envers ses concitoyens d’oser dire, dans ce discours, que la philosophie de nos jours sape les fondements du trône et de l’autel. C’est jouer le rôle d’un délateur d’oser avancer que la haine de l’autorité est le caractère dominant de nos productions ; et c’est être délateur avec une imposture bien odieuse, puisque non-seulement les gens de lettres sont les sujets les plus soumis, mais qu’ils n’ont même aucun privilège, aucune prérogative qui puisse jamais leur donner le moindre prétexte de n’être pas soumis. Rien n’est plus criminel que de vouloir donner aux princes et aux ministres des idées si injustes sur des sujets fidèles, dont les études font honneur à la nation. Mais heureusement les princes et les ministres ne lisent point ces discours, et ceux qui les ont lus une fois ne les lisent plus.

Quand on succède à un homme bizarre[3] qui a eu le malheur

  1. Lefranc de Pompignan avait, en 1740, traduit en vers français la Prière universelle de Pope. Des Anglais firent, en 1741, imprimer cette traduction, que Morellet reproduisit en 1760, avec des notes, et qui faisait aussi partie du Recueil des facéties parisiennes. (B.)
  2. Dans un Mémoire présenté au roi, le 11 mai 1760 (et dont il est question plus loin, page 135), Pompignan dit n’avoir jamais été suspendu de sa charge.
  3. Lefranc de Pompignan était, comme il est dit dans la note de la page précédente, le successeur de Maupertuis.