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VOYAGE DU FRÈRE GARASSISE. <05

RELATION

Du vo}'age de frère Garassise, neveu de frère Garasse, successeur de frère Berthier, et ce qui s'ensuit, en attendant ce qui s'ensuivra'.

L'an de notre salut 17G0, le U janvier, arriva de Lisbonne à Paris frère Ga rassise, en poste sur ses fesses, et mit pied à terre au collège de Clermont, dit, par abus, de Louis le Grand, et on sonna la cloche, et le R. P. provincial assembla son conseil, com- posé du R. P. spirituel, du R. P. recteur, du R. P. principal, de trois R. P. assistants, et du R, P. Croust, confesseur en cour-.

Et frère Garassise rendit compte en ces termes du succès de son voyage devant cette vénérable assemblée :

Au nom de saint Ignace. En arrivant de nuit à la ville de Lis- bonne pour le service de la Compagnie, voici que le ciel s'entr'- ouvrit, et que deux saints de notre ordre en descendirent, les- quels saints je ne pus reconnaître, attendu l'énorme quantité que nous en possédons ; et ils avaient les yeux plus perçants, et les oreilles plus longues, et les mains plus crochues que les autres hommes; et l'un d'eux me dit: « Garassise, neveu de Garasse, cours à la prison des Lions, où est renfermé frère Malagrida ^ et tu lui parleras, et il te dira les choses ));etje lui dis: a Comment voulez- vous que j'aille à la prison des Lions, et que frère Malagrida me dise les choses, puisque je n'ai pas les clefs, et que la prison des Lions est gardée par la sainte Hermandad ? » Et le saint me répon- dit: a Xousserons avec toi, et les portes s'ouvriront »; et je répondis aux deux saints : « Pourquoi n'y avez-vous pas été vous-mêmes, et pourquoi n'avez-vous pas tiré frère Malagrida de la prison des Lions ? » Et l'un d'eux me dit : « Tu es bien curieux; ne sais-tu pas que les saints ne peuvent pas tout faire? Obéis, et marche. »

J'obéis, et je marchai; et voici, les portes de la prison s'ouvri- rent : je me prosternai devant frère Malagrida; je baisai ses

1. La Relation du voyage de frère Garassise n'a point été admise dans les édi- tions de Kehl. Les éditeurs paraissent ne pas l'avoir connue. M. Renouard est le premier qui l'ait rétablie en 1821. Les éditions in-4 (1769), et encadrée (1775), ne contiennent aucune des trois parties de l'opuscule auquel appartient la Rela- tion de Garassise; toutes les trois cependant étaient dans le volume intitulé Recueil des facéties parisiennes pour les six premiers mois de l'an 1760. La Relation de Garassise ne parut qu'en 1760, dans une réimpression de la Relation de la maladie, etc., de Berthier, dont elle est le complément. ( B.)

2. Le P. Croust, confesseur de la dauphine, mère de Louis XVI, était frère du P. Croust dont il est question tomes XIX, page 500, et XXI, page 167.

3. Malagrida ne fut brûlé qu'en 1761.

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