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96 RELATION DE LA MALADIE, ETC.

s'appesantit : il eut de fréquents bâillements, « Je ne sais ce que j'ai, dit-il à Coutu, je n'ai jamais tant bâillé. — Mon révérend père, répondit frère Coutu, ce n'est qu'un rendu. — Comment! que voulez-vous dire avec votre rendu? dit frère Bertliier. — C'est, dit frère Coutu, que je bâille aussi, et je ne sais pourquoi, car je n'ai rien lu de la journée, et vous ne m'avez point parlé depuis que je suis en route avec vous. » Frère Coutu, en disant ces mots, bâilla plus que jamais. Berthier répliqua par des bâillements qui ne finissaient point. Le cocher se retourna, et les voyant ainsi bâiller, se mit à bâiller aussi ; le mal gagna tous les passants : on bâilla dans toutes les maisons voisines. Tant la seule présence d'un savant a quelquefois d'influence sur les hommes!

Cependant une petite sueur froide s'empara de Berthier. a Je ne sais ce que j'ai, dit-il, je me sens à la glace. — Je le crois bien, dit le frère compagnon. — Comment, vous le croyez bien! dit Berthier; qu'enteudez-vous parla? — C'est que je suis gelé aussi, dit Coutu. — Je m'endors, dit Berthier. — Je n'en suis pas surpris, dit l'autre, — Pourquoi cela ? dit Berthier. — C'est que je m'endors aussi », dit le compagnon. Les voilà saisis tous deux d'une affec- tion soporifique et léthargique, et en cet état ils s'arrêtèrent de- vant la porte des coches * de Versailles, Le cocher, en leur ou- vrant la portière, voulut les tirer de ce profond sommeil ; il n'en put venir à bout : on appela du secours. Le compagnon, qui était plus robuste que frère Berthier, donna enfin quelques signes de vie; mais Berthier était plus froid que jamais. Quelques méde- cins de la cour, qui revenaient de dîner, passèrent auprès de la chaise; on les pria de donner un coup d'oeil au malade : l'un d'eux, lui ayant tâté le pouls, s'en alla en disant qu'il ne se mêlait plus de médecine depuis qu'il était à la cour. Un autre, l'ayant considéré plus attentivement, déclara que le mal venait de la vésicule du fiel, qui était toujours trop pleine ; un troisième assura que le tout provenait de la cervelle, qui était trop vide.

Pendant qu'ils raisonnaient, le patient empirait, les convul- sions commençaient à donner des signes funestes, et déjà les trois doigts dont on tient la plume étaient tout retirés, lorsqu'un mé- decin principal, qui avait étudié sous Mead - et sous Boerhaave\

��•1. C'était le li(rc ofliciol des voitures privilégiées qui conduisaient à Versailles, mais qu'on désignait vulgairement par un nom que Voltaire a employé dans le chai)itre ix de l Ingénu; voyez tome \XI, page '20',».

'2. Richard IVlead, né en 1673, mort en 1754, a été souvent loué par Voltaire : voyez tomes XViU, pages WM); MX, 14, 463; XXI, .^70.

3. Vovez la note, lome XIX. pnge r)3.

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