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SUR UN OUVRAGE DE PHYSIQUE.

ce feu que lorsqu’il touche quelque objet. Nous voyons les choses matérielles embrasées ; mais, pour le feu qui les embrase, il est prouvé que nous ne le voyons jamais, car il n’y a pas deux sortes de feu. Cet être qui dilate tout, qui échauffe tout, ou qui éclaire tout, est le même que la lumière ; or la lumière sert à faire voir, et n’est elle-même jamais aperçue : donc nous n’apercevrons jamais le feu pur, qui est la même chose que la lumière[1].

Mais, pour être convaincu que le feu ne saurait être un mixte produit par d’autres mixtes, il me suffit de faire les réflexions suivantes :

Qu’entendez-vous par ce mot produire ? Si le feu n’est que développé, n’est que délivré de la prison où il était lorsqu’il commença à paraître, il existait donc déjà ; il y avait donc une substance de feu, un feu élémentaire caché dans les corps dont il échappe.

Si le feu est un mixte composé des corps qui le produisent, il retient donc la substance de tous les corps : la lumière est donc de l’huile, du sel, du soufre ; elle est donc l’assemblage de tous les corps. Cet être si simple, si différent des autres êtres, est donc le résultat d’une infinité de choses auxquelles il ne ressemble en rien. N’y aurait-il pas dans cette idée une contradiction manifeste ? et n’est-il pas bien singulier que dans un temps où la philosophie enseigne aux hommes qu’un brin d’herbe ne saurait être produit, et que son germe doit être aussi ancien que le monde, on puisse dire que le feu répandu dans toute la nature est une production de sels, de soufre, et de la matière éthérée ? Quoi ! je serai contraint d’avouer que tout l’arrangement, que tout le mouvement possible, ne pourront jamais former un grain de moutarde, et j’oserais assurer que le mouvement de quelques végétaux et d’une prétendue matière éthérée fait sortir du néant cette substance de feu, et cette même substance inaltérable que le soleil nous envoie, qui a des propriétés si étonnantes, si constantes, qui seule s’infléchit vers les corps, se réfracte seule, et seule produit un nombre fixe de couleurs primitives !

Que cette idée du fameux Boerhaave et des philosophes modernes est belle, c’est-à-dire vraie, que rien ne se peut changer en rien ! Nos corps se détruisent à la vérité ; mais les choses dont ils sont composés restent à jamais les mêmes. Jamais l’eau ne devient

  1. On sent qu’on peut dire dans un autre sens que nous ne voyons que la lumière ; mais nous rapportons toujours la sensation à un autre objet, et cela suffit pour détruire le raisonnement du P. Lozeran de Fiesc. (K.)