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DÉFENSE

zèle doux et charitable, soutenu d’une doctrine saine et d’une vraie philosophie, pourrait produire.

Pourquoi traiterons-nous plus durement les déistes, qui ne sont point idolâtres, que les papistes, à qui nous avons tant reproché l’idolâtrie ? On sifflerait un jésuite qui dirait aujourd’hui que c’est le libertinage qui fait des protestants. On rirait d’un protestant qui dirait que c’est la dépravation des mœurs qui fait aller à la messe. De quel droit pouvons-nous donc dire à des philosophes adorateurs d’un dieu, qui ne vont ni à la messe ni au prêche, que ce sont des hommes perdus de vices ?

Il arrive quelquefois que l’on ose attaquer avec des invectives indécentes des personnes qui, à la vérité, sont assez malheureuses pour se tromper, mais dont la vie pourrait servir d’exemple à ceux qui les attaquent. On a vu des journalistes qui ont même porté l’imprudence jusqu’à désigner injurieusement les personnes les plus respectables de l’Europe et les plus puissantes. Il n’y a pas longtemps que, dans un papier public, un homme, emporté par un zèle indiscret[1] ou par quelque autre motif, fit une étrange sortie sur ceux qui pensent que « de sages lois, la discipline militaire, un gouvernement équitable, et des exemples vertueux, peuvent suffire pour gouverner les hommes, en laissant à Dieu le soin de gouverner les consciences ».

Un très-grand homme[2] était désigné dans cet écrit périodique en termes bien peu mesurés. Il pouvait se venger comme homme ; il pouvait punir comme prince ; il répondit en philosophe : « Il faut que ces misérables soient bien persuadés de nos vertus, et surtout de notre indulgence, puisqu’ils nous outragent sans crainte avec tant de brutalité. »

Une telle réponse doit bien confondre l’auteur, quel qu’il soit, qui, en combattant pour la cause du christianisme, a employé des armes si odieuses. Nous conjurons nos frères de se faire aimer pour faire aimer notre religion.

Que peuvent penser en effet un prince appliqué, un magistrat chargé d’années, un philosophe qui aura passé ses jours dans son cabinet, en un mot tous ceux qui auront eu le malheur d’embrasser le déisme par les illusions d’une sagesse trompeuse, quand ils voient tant d’écrits où on les traite de cerveaux évaporés, de petits-maîtres, de gens à bons mots et à mauvaises mœurs ? Pre-

  1. Il s’agit de Formey, qui, tome XI de la Nouvelle Bibliothèque germanique, page 78, dans un article sur les Œuvres de Zimmermann, avait fait une sortie indécente contre l’incrédulité et les incrédules. (B.)
  2. Le roi de Prusse Frédéric le Grand.