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DÉFENSE

On affecte de le plaindre de n’avoir point lu Abbadie[1]. À qui fait-on ce reproche ? À un homme qui avait presque tout lu ; à un homme qui le cite[2]. Il méprisait beaucoup Abbadie, j’en conviens ; et j’avouerai qu’Abbadie n’était pas un génie à mettre en parallèle avec le vicomte de Bolingbroke. Il défend quelquefois la vérité avec les armes du mensonge ; il a eu sur la Trinité des sentiments que nous avons jugés erronés, et enfin il est mort en démence à Dublin.

On reproche au lord Bolingbroke de n’avoir point lu le livre de l’abbé Houteville, intitulé la Vérité de la religion chrétienne prouvée par les faits. Nous avons connu l’abbé Houteville. Il vécut longtemps chez un fermier général qui avait un fort joli sérail ; il fut ensuite secrétaire de ce fameux cardinal Dubois, qui ne voulut jamais recevoir les sacrements à la mort, et dont la vie a été publique. Il dédia son livre au cardinal d’Auvergne, abbé de Cluny, propter Clunes. On rit beaucoup à Paris, où j’étais alors (en 1722), et du livre, et de la dédicace ; et on sait que les objections qui sont dans ce livre, contre la religion chrétienne, étant malheureusement beaucoup plus fortes que les réponses, ont fait une impression funeste dont nous voyons tous les jours les effets avec douleur.

Milord Bolingbroke avance que depuis longtemps le christianisme tombe en décadence. Ses adversaires ne l’avouent-ils pas aussi ? ne s’en plaignent-ils pas tous les jours ? Nous prendrons ici la liberté de leur dire, pour le bien de la cause commune, et pour le leur propre, que ce ne sera jamais par des invectives, par des manières de parler méprisantes, jointes à de très-mauvaises raisons, qu’on ramènera l’esprit de ceux qui ont le malheur d’être incrédules. Les injures révoltent tout le monde, et ne persuadent personne. On fait trop légèrement des reproches de débauche et de mauvaise conduite à des philosophes qu’on devrait seulement plaindre de s’être égarés dans leurs opinions.

Par exemple les adversaires de milord Bolingbroke le traitent de débauché parce qu’il communique à milord Cornsbury ses pensées sur l’histoire.

On ne voit pas quel rapport cette accusation peut avoir avec son livre. Un homme qui du fond d’un sérail écrirait en faveur du concubinage, un usurier qui ferait un livre en faveur de

  1. Auteur de la Vérité de la religion chrétienne. Ce théologien protestant mourut en 1727, à Londres, suivant quelques-uns, à Dublin, suivant Voltaire.
  2. Page 94 du tome Ier de ses Lettres ; à Londres, chez Miller. (Note de Voltaire.)