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EXTRAIT

hasardeux. Il propose qu’on fasse des cavités dans la terre plus profondes que les pyramides ne sont hautes[1] ; qu’on établisse une ville où tout le monde parle latin[2] ; qu’on tâche de former des espèces nouvelles[3] ; il révoque en doute l’existence des jumarts[4], quoiqu’on ait vu plusieurs de ces animaux. Il voudrait qu’on accouplât des taureaux et des ânesses ; mais c’est un âne dont il s’agit, et qui produit le jumart avec la vache, comme il produit le mulet avec la jument.

Après avoir proposé ces expériences sur les corps, il en propose sur les esprits. Il a recours aux songes[5] pour mieux connaître la nature de l’âme, et il pense qu’avec de l’opium on peut parvenir à mieux démêler la manière dont se forment les idées. Ce projet est rare. L’âme ressemblerait-elle à ces poissons qu’on endort pour les prendre ? De là il veut qu’on examine les cerveaux des Patagons[6] qui ont, dit-il, douze pieds de haut. Il nous semble que d’habiles anatomistes-géomètres ont fait voir que des hommes de cette taille ne pourraient exécuter les mouvements de nos corps. Connaître l’âme avec de l’opium, et disséquer des têtes de géants, sont assurément des moyens nouveaux pour l’avancement des sciences. On pourrait mettre ces projets à côté de ceux de M. Caritidès, et ce serait encore à Caritidès qu’on ferait tort.

Ce projet est suivi de Réflexions philosophiques sur l’origine des langues. L’auteur aurait dû dire plutôt sur l’origine des idées, car il n’est point parlé dans cet écrit de la manière dont les divers temps des verbes, les conjugaisons, les déclinaisons, les substantifs, les adjectifs, qui font le fondement de toutes les langues, se sont établis. L’ouvrage est obscur, et nous n’avons pu découvrir ni l’ordre, ni le but, ni l’utilité de cette dissertation.

L’auteur introduit des signes à la place des mots, et une espèce d’algèbre à la place des phrases. Il suppose, par exemple, qu’un homme qui verrait la mer pour la première fois exprimerait cette idée par un R[7], et la vue d’un arbre par un A, et celle d’un cheval par un B ; et qu’ensuite lorsqu’il se souviendrait d’avoir vu un cheval, un arbre, et la mer, il se servît d’autres signes.

On ne voit pas ce qu’on gagnerait à cette étrange manière de s’exprimer ; et il n’est ni dans la nature, ni dans la raison, de

  1. Œuvres de Maupertuis, page 339.
  2. Ibid.
  3. Ibid., page 348.
  4. Ibid.
  5. Œuvres de Maupertuis, page 350
  6. Ibid., page 350.
  7. Ibid., page 358.