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EXTRAIT

Il n’est pas assurément démontré, et Newton n’a jamais cru que ces rayons s’infléchissent parce que la nature y emploie la moindre action possible. Le fait tient à une autre cause qui allonge le temps et le chemin de la lumière. Cependant l’auteur prétend qu’on trouve évidemment dans ce phénomène le principe de la moindre action possible ; et il prétend que cette moindre action possible est une loi mathématique générale de son inven-

    catoptricœ et dioptricœ Principio, dans les Actes de Leipzig, de l’année 1682, page 185.)

    On ne peut pas même voir en quoi le calcul de M. de Maupertuis diffère de Celui de M. de Leibnitz, tant la conformité est grande. M. de Maupertuis aurait donc mieux fait de convenir franchement des obligations qu’il avait à ce grand homme que de s’amuser à le réfuter mal à propos, comme il l’a fait dans les Mémoires de l’ Académie royale des sciences de l’an 1744, où il a publié pour la première fois cette Dissertation sur la loi de la réfraction, etc. Je dis mal à propos, parce que M. de Maupertuis lui-même paraît avoir reconnu son tort, en ce qu’il a changé ou ôté dans cette nouvelle édition tous les passages qui roulaient sur les prétendues bévues de M. de Leibnitz, comme on peut s’en convaincre en comparant ce qui se trouve dans les Mémoires de 1744, avec ce qui se trouve, sur la même matière, dans l’ouvrage que nous annonçons. S’il est bon de corriger ses fautes, il vaudrait encore mieux de n’en point commettre. Mais le grand point consiste en ceci. L’auteur prétend tirer de la moindre action les lois de la nature ; il veut en démontrer l’existence d’un Dieu. Il faudrait donc, non-seulement nous expliquer ce qu’il faut entendre par l’action, et nous en donner une certaine estimation mathématique ; mais il faudrait encore démontrer que cette estimation est légitime, qu’elle est conforme aux principes incontestables de la raison. M. de Maupertuis nous dit, dans ce Mémoire, que l’action d’un corps en mouvement doit être estimée par l’espace parcouru, et la vitesse avec laquelle cet espace a été parcouru. Mais qui autorise M. de Maupertuis à estimer l’action de la sorte ? Le P. Malebranche l’estimait par l’espace tout seul ; d’autres pourraient vouloir l’estimer par l’espace et le temps ; d’autres encore autrement. Il faut donc que l’estimation qui doit passer pour vraie, et sur laquelle on veut bâtir les preuves de l’existence d’un Dieu, soit premièrement démontrée des principes de la dynamique reçus de tous les philosophes ; sans cela, c’est bâtir en l’air un pompeux édifice que le souffle d’un negatur assumptum renverse incontinent. L’estimation de M. de Maupertuis peut être vraie ; mais cette vérité n’est assurément pas connue. Les plus grands géomètres en sont surpris ; ils n’ont jamais ouï parler de cette estimation de l’action. Il y en a eu dans l’Académie royale des sciences de Paris qui ont demandé à M. de Maupertuis la démonstration de ce paradoxe ; mais il n’a jamais pu les satisfaire.

    En admettant l’estimation de l’action supposée par M. de Maupertuis, c’est encore une grande question si les lois du mouvement et de l’équilibre sont une suite de son minimum, ou de sa moindre quantité possible. Adhuc sub judice lis est. Il y a des savants qui le nient. On saura à quoi s’en tenir quand la controverse engagée sur cette matière entre M. de Maupertuis et Koenig sera finie. Quoi qu’il en puisse être, il est indubitable qu’en tout cas cette loi de l’épargne ne serait qu’un corollaire de cette loi générale, que Dieu et la nature donnent toujours la préférence au meilleur et au plus convenable dans leurs opérations.

    — Cette note est dans la Bibliothèque raisonnée, et peut-être de son rédacteur. (B.)