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DE LA BIBLIOTHÈQUE RAISONNÉE.

on voit qu’en effet il y a beaucoup plus de bien que de mal sur la terre. On voit évidemment que ces reproches, faits de tout temps à la Providence, ne viennent que du plaisir secret que les hommes ont de se plaindre, et qu’ils sont plus frappés des maux qu’ils éprouvent que des avantages dont ils jouissent. L’histoire, qui est pleine d’événements tragiques, contribue d’ordinaire beaucoup à favoriser l’idée qu’il y a incomparablement plus de mal que de bien ; mais on ne fait pas réflexion que l’histoire n’est que le tableau des grands événements, des querelles des rois et des nations. Elle ne tient point compte de l’état ordinaire des hommes. Cet état ordinaire est l’ordre et la sûreté dans la société. Il n’y a point de ville au monde qui n’ait été vingt fois plus longtemps tranquille que troublée de séditions. Il y a plus de cent ans qu’il n’y a eu de sédition à Paris. Depuis Charles-Quint, Rome n’a point souffert. Le vaste empire de la Chine est entièrement paisible depuis plus d’un siècle. L’intérieur de Venise a été mille ans tranquille.

Cette ancienne question épuisée du mal moral et du mal physique ne devrait être traitée qu’en cas qu’on eût des choses nouvelles à dire. Mais remarquons qu’elle n’attaque point l’Intelligence suprême : elle attaque l’idée que nous nous faisons de sa bonté. L’auteur, en examinant succinctement les opinions qui justifient la bonté du Créateur, omet la plus digne observation, et la plus philosophique. La voici : c’est que dans l’ordre et dans la chaîne infinie des êtres créés, il faut qu’il se trouve un être tel que l’homme : or, si dans cette chaîne infinie l’homme doit être tel qu’il est aujourd’hui, quel reproche peut-on faire à la Divinité ?

Enfin l’auteur, après avoir trop sommairement jeté des doutes sur les preuves les plus palpables de la Providence, traite la cosmologie plus sommairement encore en un seul chapitre. Il vient ensuite au choc des corps, et à l’action par laquelle la lumière passe d’un milieu dans un autre. Il se sert de la découverte de Newton, qui le premier a vu cette inflexion singulière des rayons[1].

  1. L’auteur de cet Extrait ne paraît pas s’être donné la peine d’examiner les matières auxquelles il touche dans l’endroit cité. M. de Maupertuis ne se sert point de la découverte de Newton pour déterminer la loi de la réfraction des rayons de lumière. Et dans toute cette matière il n’est pas question de l’inflexion des rayons, qui est tout autre chose. Il aurait donc dû tourner sa critique tout autrement, et dire par exemple :

    Il se sert de la découverte de Leibnitz, qui, le premier, a appliqué le calcul des plus grandes et des moindres quantités, et la considération de la cause finale pour déterminer la loi de la réfraction. (Voyez son mémoire De unico opticœ,