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SUR
Mlle DE LENCLOS
À M***
(1751)[1]

Je suis bien aise, monsieur, qu’un ministre du saint Évangile veuille savoir des nouvelles d’une prêtresse de Vénus. Je n’ai pas l’honneur d’être de votre religion, et je ne suis plus de l’autre ; mais j’ai voulu laisser passer le saint temps de Pâques avant de répondre à vos questions, jugeant bien que vous n’auriez pas voulu lire ma lettre pendant la semaine sainte.

Je vous dirai d’abord, en historiographe exact, que le cardinal de Richelieu eut les premières faveurs de Ninon, qui probablement eut les dernières de ce grand ministre. C’est, je crois, la seule fois que cette fille célèbre se donna sans consulter son goût. Elle avait alors seize à dix-sept ans[2]. Son père était un joueur de luth, nommé Lenclos[3]. Son instrument ne lui fit pas une grande fortune, mais sa fille y suppléa par le sien. Le cardinal de Richelieu lui donna deux mille livres de rentes viagères, qui étaient quelque chose dans ce temps-là. Elle se livra depuis à une vie un peu libertine, mais ne fut jamais courtisane publique. Jamais l’intérêt ne lui fit faire la moindre démarche.

  1. Ce morceau fait partie du tome III des Nouveaux Mélanges philosophiques, historiques, critiques, etc, 1765. C’est donc par erreur que les éditeurs de Kehl l’ont daté de 1771. Des éditeurs modernes ont mis 1751, et avec raison, puisque c’est de 1751 qu’est un des ouvrages dont Voltaire parle comme venant de paraître. On peut encore, sur Ninon de Lenclos, voir, dans la Correspondance, le fragment de lettre du 15 avril 1752 ; dans le présent volume, page 497, le Dialogue entre madame de Maintenon et mademoiselle de Lenclos ; et, plus loin, le chapitre viii de la Défense de mon oncle. (B.)
  2. Elle était née en 1620 (le 10 novembre), et mourut en 1705 (le 17 octobre). Voyez les actes authentiques dans le Dictionnaire de Jal.
  3. Un petit gentilhomme habile à jouer du luth.