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DES MENSONGES IMPRIMÉS.

il est despotique dans le sens le plus horrible et le plus humiliant pour l’humanité. Ce gouvernement turc, dans lequel il n’est pas permis à l’empereur de s’éloigner longtemps de la capitale, de changer les lois, de toucher à la monnaie, etc., sera représenté comme un établissement dans lequel le chef de l’État peut du matin au soir tuer et voler loyalement tout ce qu’il veut. L’Alcoran dit qu’il est permis d’épouser quatre femmes à la fois : donc tous les merciers et tous les drapiers de Constantinople ont chacun quatre femmes, comme s’il était si aisé de les avoir et de les garder. Quelques personnages considérables ont des sérails : de là on conclut que tous les musulmans sont autant de Sardanapales ; c’est ainsi qu’on juge de tout. Un Turc qui aurait passé dans une certaine capitale, et qui aurait vu un auto-da-fé ne laisserait pas de se tromper s’il disait : Il y a un pays policé où l’on brûle quelquefois en cérémonie une vingtaine d’hommes, de femmes, et de petits garçons, pour le divertissement de Leurs gracieuses Majestés. La plupart des relations sont faites dans ce goût-là ; c’est bien pis quand elles sont pleines de prodiges : il faut être en garde contre les livres, plus que les juges ne le sont contre les avocats.

XXXV. Il y a encore une grande source d’erreurs publiques parmi nous, et qui est particulière à notre nation : c’est le goût des vaudevilles ; on en fait sur les hommes les plus respectables, et on entend tous les jours calomnier les vivants et les morts sur ces beaux fondements : « Ce fait, dit-on, est vrai, c’est une chanson qui l’atteste. »

XXXVI. N’oublions pas au nombre des mensonges la fureur des allégories. Quand on eut trouvé[1] les fragments de Pétrone, auxquels Nodot a depuis[2] joint hardiment les siens, tous les savants prirent le consul Pétrone pour l’auteur de ce livre. Ils voient clairement Néron et toute sa cour dans une troupe de jeunes écoliers fripons qui sont les héros de cet ouvrage. On fut trompé, et on l’est encore par le nom. Il faut absolument que le débauché obscur et bas qui écrivit cette satire, plus infâme qu’ingénieuse, ait été le consul Titus Petronius ; il faut que Trimalcion, ce vieillard absurde, ce financier au-dessous de Turcaret, soit le jeune empereur Néron ; il faut que sa dégoûtante et méprisable épouse soit la belle Acté ; que le pédant, le grossier Agamemnon, soit le philosophe Sénèque : c’est chercher à trouver toute la cour de

  1. En 1688.
  2. En 1694.