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DES MENSONGES IMPRIMÉS.

Après ces faiseurs de Testaments viennent les auteurs d’Anecdotes. Nous avons une petite histoire imprimée en 1700, de la façon d’une demoiselle Durand, personne fort instruite, qui porte

    une plaisante réduction qu’une dépense qui aurait monté alors à près du tiers du revenu de l’État.

    D’ailleurs, est-il croyable qu’un ministre insiste sur l’abolition de ce comptant ? C’était une dépense secrète dont le ministre était le maître absolu. C’était le plus cher privilége de sa place.

    L’affaire des comptants ne fit du bruit que du temps de la disgrâce du célèbre Fouquet, qui avait abusé de ce droit du ministère. Qui ne voit que le testament prétendu du cardinal de Richelieu n’a été forgé qu’après l’aventure de M. Fouquet ?

    8° Est-il encore d’un ministre d’appeler les rentes constituées au denier vingt les rentes au denier cinq ? Il n’y a pas de clerc de notaire qui tombât dans cette méprise absurde. Une rente au denier cinq produirait la cinquième partie du capital ; un fonds de cent mille francs produirait vingt mille francs d’intérêt ; il n’y a jamais eu de rentes à ce prix. Les rentes au denier vingt produisent cinq pour cent, mais ce n’est pas là le denier cinq. Il est clair que le testament est l’ouvrage d’un homme qui n’avait pas de rentes sur la ville.

    9° Il paraît évident que tout le chapitre ix, où il est question de la finance, est d’un faiseur de projets, qui, dans l’oisiveté de son cabinet, bouleverse paisiblement tout le système du gouvernement, supprime les gabelles, fait payer la taille au parlement, rembourse les charges sans avoir de quoi les rembourser. Il est assurément bien étrange qu’on ait osé mettre ces chimères sous le nom d’un grand ministre, et que le public y ait été trompé. Mais où sont les hommes qui lisent avec attention ? Je n’ai guère vu personne lire avec un profond examen autre chose que les mémoires de ses propres affaires. De là vient que l’erreur domine dans tout l’univers. Si l’on mettait autant d’attention dans la lecture qu’un bon économe en apporte à voir les comptes de son maître d’hôtel, de combien de sottises ne serait-on pas détrompé ?

    10° Est-il vraisemblable qu’un homme d’État qui se propose un ouvrage aussi solide dise que « le roi d’Espagne, en secourant les huguenots, avait rendu les Indes tributaires de l’enfer ; que les gens de palais mesurent la couronne du roi par sa forme, qui, étant ronde, n’a point de fin ; que les éléments n’ont de pesanteur que lorsqu’ils sont en leur lieu ; que le feu, l’air, ni l’eau, ne peuvent soutenir un corps terrestre, parce qu’il est pesant hors de son lieu » ; et cent autres absurdités pareilles, dignes d’un professeur de rhétorique de province dans le xvie siècle, ou d’un répétiteur irlandais qui dispute sur les bancs ?

    11° Se persuadera-t-on que le premier ministre d’un roi de France ait fait un chapitre tout entier pour engager son maître à se priver du droit de régale dans la moitié des évêchés de son royaume, droits dont les rois ont été si jaloux ?

    12° Serait-il possible que, dans un testament politique adressé à un prince âgé de quarante ans passés, un ministre tel que le cardinal de Richelieu eût dit tant d’absurdités quand il entre dans les détails, et n’eût, en général, annoncé que des vérités triviales, faites pour un enfant qu’on élève, et non pour un roi qui régnait depuis trente années ? Il assure que « les rois ont besoin de conseils ; « qu’un conseiller d’un roi doit avoir de la capacité et de la probité ; qu’il faut suivre la raison, établir le règne de Dieu ; que les intérêts publics doivent être « préférés aux particuliers ; que les flatteurs sont dangereux ; que l’or et l’argent « sont nécessaires ». Voilà les grandes maximes d’État à enseigner à un roi de quarante ans. Voilà des vérités d’une finesse et d’une profondeur dignes du cardinal de Richelieu !

    13° Qui croirait enfin que le cardinal de Richelieu ait recommandé à Louis XIII