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OPÉRA.


         Que nos prairies[1]
         Seront fleuries !
         Les cœurs glacés
Pour jamais en sont chassés.
      Qu’amour a de charmes !
      Rendons-lui les armes ;
      Les plaisirs charmants
      Sont pour les amants.

On ne voit, comme le dit très-bien la jolie comédie du Double Veuvage[2], que de nouvelles ardeurs et des ardeurs nouvelles.

Cette contrainte puérile est encore augmentée par le peu de termes convenables aux musiciens que fournit notre langue. Demandez à un compositeur de mettre en chant : «. Que vouliez-vous qu’il fît contre trois ? — Qu’il mourût » ; ou bien ces vers :

Si j’avais mis ta vie à cet indigne prix,
Parle, aurais-tu quitté les dieux de ton pays[3] ?

Le musicien demandera, au lieu de ces beaux vers, des fleurettes, des amourettes, des ruisseaux, des oiseaux, des charmes, et des alarmes.

Voilà pourquoi, depuis Quinault, il n’y a presque pas eu de tragédie supportable en musique. Les auteurs ont senti l’extrême difficulté de mêler à un sujet grand et pathétique des fêtes galantes, incorporées à l’action, d’éviter les détails nécessaires, et d’être intéressants. Ils se sont presque tous jetés dans un genre encore plus médiocre, qui est celui des ballets.

Ces sortes d’ouvrage n’ont aucune liaison. Chaque acte est composé de peu de scènes, toute action y est comme étranglée ; mais la variété du spectacle, et les petites chansonnettes que le musicien fait réussir et que le parterre répète, amusent le public, qui court à ces représentations sans en faire grand cas. Le premier ballet dans ce goût, qui a servi de modèle aux autres, est celui de l’Europe galante d’Houdard de Lamotte : car ceux de Quinault étaient encore plus médiocres ; son Temple de la paix, par exemple, n’est qu’un assemblage de chansons, sans aucune action.

Le plus grand mal de ces spectacles, c’est qu’il n’y est presque pas permis d’y rendre la vertu respectable, et d’y mettre de la noblesse : ils sont consacrés aux misérables redites de maximes

  1. Thésée, acte IV, scène vii.
  2. Comédie de Dufresny, acte III, scène vii.
  3. Alzire, acte V, scène V ; voyez tome II du Théâtre.