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ÉPIGRAMME.

Il faut prendre garde qu’il y a quelques épigrammes héroïques, mais elles sont en très-petit nombre dans notre langue. J’appelle épigrammes héroïques celles qui présentent à la fin une pensée ou une image forte et sublime, en conservant pourtant dans les vers la naïveté convenable à ce genre. En voici une dans Marot[1]. Elle est peut-être la seule qui caractérise ce que je dis.

Lorsque Maillart, juge d’enfer, menoit
À Monfaulcon Samblançay l’ame rendre,
À vostre advis lequel des deux tenoit
Meilleur maintien ? Pour le vous faire entendre,
Maillart sembloit homme qui mort va prendre,
Et Samblançay fut si ferme vieillart
Que l’on cuydoit pour vray qu’il menast pendre
À Monfaulcon le lieutenant Maillart.

Voilà, de toutes les épigrammes dans le goût noble, celle à qui je donnerais la préférence. On a distingué les madrigaux des épigrammes : les premiers consistent dans l’expression délicate d’un sentiment ; les secondes, dans une plaisanterie. Par exemple, on appelle madrigal ces vers charmants de M. Ferrand :

Être l’Amour quelquefois je désire,
Non pour régner sur la terre et les cieux,
Car je ne veux régner que sur Thémire :
Seule elle vaut les mortels et les dieux :
Non pour avoir le bandeau sur les yeux,
Car de tout point Thémire m’est fidèle ;
Non pour jouir d’une gloire immortelle.
Car à ses jours survivre je ne veux ;
Mais seulement pour épuiser sur elle
Du dieu d’amour et les traits et les feux.

Les épigrammes qui n’ont que le mérite d’offenser n’en ont aucun, et, comme d’ordinaire c’est la passion seule qui les fait, elles sont grossières. Qui peut souffrir, dans Malherbe :

Cocu de long et de travers,
Sot au delà de toutes bornes ;
Comment te plains-tu de mes vers,
Toi qui souffres si bien les cornes ?

Peut-être cette détestable épigramme réussit-elle de son temps,

  1. Épigramme XL.