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AMOUR.

On entend pour tout bruit des concerts enchanteurs
Dont la molle harmonie inspire les langueurs ;
Les voix de mille amants, les chants de leurs maîtresses,
Qui célèbrent leur honte et vantent leurs faiblesses.
Chaque jour on les voit, le front paré de fleurs,
De leur aimable maître implorer les faveurs ;
Et dans l’art dangereux de plaire et de séduire,
Dans son temple à l’envi s’empresser de s’instruire.
La flatteuse Espérance, au front toujours serein,
À l’autel de l’Amour les conduit par la main.
Près du temple sacré, les Grâces demi-nues
Accordent à leurs voix leurs danses ingénues.
La molle Volupté, sur un lit de gazons,
Satisfaite et tranquille, écoute leurs chansons.
On voit à ses côtés le Mystère en silence,
Le Sourire enchanteur, les Soins, la Complaisance,
Les Plaisirs amoureux, et les tendres Désirs,
Plus doux, plus séduisants encor que les Plaisirs.
De ce temple fameux telle est l’aimable entrée ;
Mais lorsqu’en avançant sous la voûte sacrée
On porte au sanctuaire un pas audacieux.
Quel spectacle funeste épouvante les yeux !
Ce n’est plus des Plaisirs la troupe aimable et tendre ;
Leurs concerts amoureux ne s’y font plus entendre :
Les Plaintes, les Dégoûts, l’Imprudence, la Peur,
Font de ce beau séjour un séjour plein d’horreur.
La sombre Jalousie, au teint pâle et livide,
Suit d’un pied chancelant le Soupçon qui la guide :
La Haine et le Courroux, répandant leur venin.
Marchent devant ses pas un poignard à la main.
La Malice les voit, et d’un souris perfide
Applaudit, en passant, à leur troupe homicide.
Le Repentir les suit, détestant leurs fureurs,
Et baisse, en soupirant, ses yeux mouillés de pleurs.
C’est là, c’est au milieu de cette cour affreuse,
Des plaisirs des humains compagne malheureuse,
Que l’Amour a choisi son séjour éternel, etc.


Ces deux descriptions morales de l’Amour n’en sont pas moins intéressantes pour cela. Celle qui est tirée de la Henriade est plus pittoresque que l’autre et, d’un style plus coulant et plus correct ; mais elle ne me paraît pas écrite avec plus d’énergie. Il y a seulement je ne sais quoi de plus doux et de plus intéressant.


Non satis est pulchra esse poemata, dulcia sunto.

(Hor., de Art. poet., 99.)