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DE SAINT LOUIS.

Toutes les vertus humaines étaient chez les anciens, je l’avoue ; les vertus divines ne sont que chez les chrétiens.

Où est le grand homme de l’antiquité, qui ait cru devoir rendre compte à la justice divine, je ne dis pas de ses crimes, je dis de ses fautes légères, je dis des fautes de ceux qui, chargés de ses ordres, pouvaient ne les pas exécuter avec assez de justice ?

Quel bon roi, dans les fausses religions, a vengé tous les jours sur soi-même des erreurs attachées à une administration pénible, et dont les princes ne se croient pas toujours responsables ?

Quels climats, quelles terres ont jamais vu des monarques païens, foulant aux pieds, et la grandeur qui fait regarder les hommes commodes des êtres subalternes, et la délicatesse qui amollit, et le dégoût affreux qu’inspire un cadavre, et l’horreur de la maladie, et celle de la mort, porter de leurs mains royales des hommes obscurs frappés de la contagion, et, l’exhalant encore, leur donner une sépulture que d’autres mains tremblaient de leur donner ?

Ainsi la religion produit dans les âmes qu’elle a pénétrées un courage supérieur, et des vertus supérieures aux vertus humaines. Elle a encore sanctifié dans saint Louis tout ce qu’il eut de commun avec les héros et les bons rois.

La fermeté dans le malheur n’est pas une vertu rare. L’âme ramasse alors toutes ses forces ; elle se mesure avec ses destins ; elle se donne en spectacle au monde. Quiconque est regardé des hommes peut souffrir et mourir avec courage. On a vu des rois captifs, attachés au char de leur vainqueur, braver dans l’excès de l’humiliation le spectacle des pompes triomphales. On a vu des vaincus se donner la mort, non pas avec cette rage qu’inspire le désespoir, mais avec le sang-froid d’une fausse philosophie.

Ô vains fantômes de vertu ! ô aliénation d’esprit ! que vous êtes loin du véritable héroïsme ! Voir d’un même œil la couronne et les fers, la santé et la maladie, la vie et la mort ; faire des choses admirables, et craindre d’être admiré ; n’avoir dans le cœur que Dieu et son devoir ; n’être touché que des maux de ses frères, et regarder les siens comme une épreuve nécessaire à sa sanctification ; être toujours en présence de son Dieu ; n’entreprendre, ne réussir, ne souffrir, ne mourir que pour lui : voilà saint Louis, voilà le héros chrétien, toujours grand et toujours simple, toujours s’oubliant lui-même. Il a régné pour ses peuples ; il a fait tout le bien qu’il pouvait faire, même sans rechercher les bénédictions de ceux qu’il rendait heureux. Il a étendu ses bien-