Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome23.djvu/334

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
324
PANÉGYRIQUE
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

Il me semble qu’une voix secrète s’élève en ce moment au fond de nos cœurs. Elle nous dit : Regardez cet homme qui est né sur le premier trône du monde. Il a été exposé à tous les dangers dont les charmes séduisent les âmes ; les plaisirs se sont présentés en foule à ses sens : les flatteurs lui ont préparé toutes les voies de la séduction : il les a évitées, il les a rejetées.

Quel exemple pour nous ! il est humble dans le sein de la grandeur ; et nous, hommes vulgaires, nous sommes enflés de vanité et d’orgueil ! Il est roi, et il est humble ! C’est beaucoup pour les moindres particuliers d’être modestes. Mais quelle différence entre la modestie et l’humilité ! Que cette modestie est trompeuse ! qu’il entre d’amour-propre dans cet art de cacher l’amour-propre, de paraître ignorer son mérite pour le mieux faire remarquer, de dérober sous un voile l’éclat dont on est environné, afin que d’autres mains lèvent ce voile que vous n’oseriez tirer vous-même !

Ô hommes, enfants de la vanité ! votre modestie est orgueil. La plus pure est celle qui est la moins corrompue par la secrète complaisance du cœur : elle est alors tout au plus une bonne qualité ; mais l’humilité est la perfection de la vertu.

Saint Louis secourt les pauvres : tous les païens l’ont fait ; mais il s’abaisse devant eux ; il est le premier des rois qui les ait servis ; il les égale à lui ; il ne voit en eux que des citoyens de la cité de Dieu comme lui. C’est là ce que toute la morale païenne n’avait pas seulement imaginé. Il était le plus grand des rois, et il ne se croit pas digne de régner. Il veut abdiquer une couronne qu’on eût dû lui offrir si sa naissance ne la lui avait pas donnée.

Quoi ! un roi dans la force de l’âge, un roi l’exemple de la terre, ne se croit pas égal à la place où Dieu l’a mis, pendant que tant d’hommes, médiocres dans leurs talents, et insatiables dans leur cupidité, percent violemment la foule où ils devraient rester, frappent à toutes les portes, font jouer tous les ressorts, bouleversent tout, corrompent tout, pour parvenir à de faibles dignités, à je ne sais quels emplois dont encore ils sont incapables !

La charité n’est pas moins étrangère à l’antiquité profane : elle connaissait la libéralité, la magnanimité ; mais ce zèle ardent pour le bonheur des hommes et pour leur bonheur éternel, les anciens en avaient-ils l’idée ? Ont-ils approché de cette ardeur avec laquelle le saint roi travaillait à secourir les âmes des faibles, et à soulager tous les infortunés ?