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DES EMBELLISSEMENTS DE PARIS.

fait pour le public, il témoigne sa magnanimité. Mais, dans l’un et l’autre cas, il encourage les arts, il fait circuler l’argent, et rien ne se perd dans ses entreprises, sinon les remises faites dans les pays étrangers, pour acheter chèrement d’anciennes statues mutilées, tandis que nous avons parmi nous des Phidias et des Praxitèles.

Le roi, par sa grandeur d’âme et par son amour pour son peuple, voudrait contribuer à rendre sa capitale digne de lui. Mais, après tout, il n’est pas plus roi des Parisiens que des Lyonnais et des Bordelais ; chaque métropole doit se secourir elle-même. Faut-il à un particulier un arrêt du conseil pour ajuster sa maison ? Le roi d’ailleurs, après une longue guerre[1], n’est point en état à présent de dépenser beaucoup pour nos plaisirs, et, avant d’abattre les maisons qui nous cachent la façade de Saint-Gervais, il faut payer le sang qui a été répandu pour la patrie. D’ailleurs, s’il y a aujourd’hui plus d’espèces dans le royaume que du temps de Louis XIV, les revenus actuels de la couronne n’approchent pas encore de ce qu’ils étaient en effet sous ce monarque : car dans les soixante et douze années de ce règne, on leva sur la nation 18 milliards numéraires ; ce qui fait, année commune, 200 millions 500,000 livres, à 27 à 30 livres le marc ; et cette somme annuelle revient à environ 330 millions d’aujourd’hui ; or il s’en faut beaucoup que le roi ait ce revenu. On dit toujours : Le roi est riche, dans le même sens qu’on le dirait d’un seigneur ou d’un particulier ; mais en ce sens-là le roi n’est point riche du tout : il n’a presque point de domaine, et j’observerai, en passant, que les temps les plus malheureux de la monarchie ont été ceux où les rois n’avaient que leur domaine pour résister à leurs ennemis, et pour récompenser leurs sujets. Le roi est précisément et à la lettre l’économe de toute la nation ; la moitié de l’argent circulant dans le royaume passe par des trésoriers comme par un crible ; et tout homme qui demande au roi une pension, une gratification, dit en effet au roi : Sire, donnez-moi une petite portion de l’argent de mes concitoyens. Reste à savoir si cet homme a bien mérité de la patrie : il est clair qu’alors la patrie lui doit, et le roi le paye au nom de l’État ; mais il est clair encore que le roi n’a pour les dépenses arbitraires que ce qui reste après qu’il a satisfait aux dépenses nécessaires.

Il est encore très-vrai qu’il s’en faut beaucoup qu’il se trouve

  1. Celle qui, commencée en 1741, ne finit qu’en 1748 ; voyez, tome XV, les chapitres VI et suivants du Précis du Siècle de Louis XV.