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ANECDOTES


fût assez puissant pour changer ce que Dieu avait fait. Cette réforme commença avec le siècle, en 1700, par un grand jubilé que le czar indiqua lui-même. Il avait supprimé la dignité de patriarche, et il en faisait les fonctions. Il n’est pas vrai qu’il eût, comme on l’a dit, mis son patriarche aux petites-maisons de Moscou. Il avait coutume, quand il voulait se réjouir en punissant, de dire à celui qu’il châtiait ainsi : Je te fais fou ; et celui à qui il donnait ce beau titre était obligé, fût-il le plus grand seigneur du royaume, de porter une marotte, une jaquette et des grelots, et de divertir la cour en qualité de fou de Sa Majesté czarienne. Il ne donna point cette charge au patriarche ; il se contenta de supprimer un emploi dont ceux qui en avaient été revêtus avaient abusé au point qu’ils avaient obligé les czars de marcher devant eux une fois l’an, en tenant la bride du cheval patriarcal[1], cérémonie dont un homme tel que Pierre le Grand s’était d’abord dispensé.

Pour avoir plus de sujets il voulut avoir moins de moines, et ordonna que dorénavant on ne pourrait entrer dans un cloître qu’à cinquante ans ; ce qui fit que, dès son temps, son pays fut, de tous ceux qui ont des moines, celui où il y en eut le moins. Mais, après lui, cette graine qu’il déracinait a repoussé, par cette faiblesse naturelle qu’ont tous les religieux de vouloir augmenter leur nombre, et par cette autre faiblesse qu’ont les gouvernements de le souffrir.

Il fit d’ailleurs des lois fort sages pour les desservants des églises, et pour la réforme de leurs mœurs, quoique les siennes fussent assez déréglées, sachant très-bien que ce qui est permis à un souverain ne doit pas l’être à un curé. Avant lui, les femmes vivaient toujours séparées des hommes ; il était inouï qu’un mari eût jamais vu la fille qu’il épousait. Il ne faisait connaissance avec elle qu’à l’église. Parmi les présents de noces était une grosse poignée de verges que le futur envoyait à la future, pour l’avertir qu’à la première occasion elle devait s’attendre à une petite correction maritale ; les maris même pouvaient tuer leurs

  1. L’auteur de la nouvelle Histoire de Russie prétend que cette cérémonie n’a jamais eu lieu, et que les patriarches se contentaient d’affecter l’égalité avec les empereurs : cette farce insolente n’a donc jamais été jouée que dans notre Occident ; et ceux qui l’ont jouée ne sont pas encore supprimés ! (K.) — L’auteur de la nouvelle Histoire de Russie, 1782, cinq volumes in-8°, dont la quatrième édition est de 1812, huit volumes in-8°, est P.-C. Levesque, né en 1736, mort le 12 mai 1812. Il en a été parlé déjà dans l’Avertissement de Beuchot en tête de l’Histoire de Russie, tome XVI.