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PRÉFACE DE L’AUTEUR.

se querellent, et des pensées qui se repoussent, on ne sait pas ce que cela signifie.

Le journaliste dit que le contraste des quatre rois François Ier, Henri IV, Louis XIII, Louis XIV, et du monarque régnant, n’est pas assez sensible. Il n’y a là aucun contraste ; des mérites différents ne sont point des choses opposées : on n’a voulu faire ni de contrastes ni d’antithèses, et il n’y en a pas la moindre apparence.

Il reprend ces mots au sujet de nos alarmes sur la maladie du roi : « Après un triomphe si rare il ne fallait pas une vertu commune. » On ne triomphe, dit-il, que de ses ennemis ; peut-il ignorer que ce terme triomphe est toujours noblement employé pour tous les grands succès, en quelque genre que ce puisse être ?

Il prétend que ce triomphe n’est pas rare. En France, dit-il, rien de plus naturel, rien de plus général que l’amour des peuples pour leur souverain. Il n’a pas senti que cette critique, très-déplacée, tend à diminuer le prix de l’amour extrême qui éclata dans cette occasion par des témoignages si singuliers. Oui, sans doute, ce triomphe était rare, et il n’y en a aucun exemple sur la terre : c’est ce que toute la nation dépose contre cette accusation du censeur.

À quoi pense-t-il quand il dit que rien n’est plus naturel, plus général, qu’une telle tendresse ? Où a-t-il trouvé qu’en France on ait marqué un tel amour pour ses rois, avant que Louis XIV et Louis XV aient gouverné par eux-mêmes ? Est-ce dans le temps de la Fronde ? est-ce sous Louis XIII, quand la cour était déchirée par des factions, et l’État par des guerres civiles ? quand le sang ruisselait sur les échafauds ? Est-ce lorsque le couteau de Ravaillac[1], instrument du fanatisme de tout un parti, acheva le parricide que Jean Châtel avait commencé, et que Pierre Barrière et tant d’autres avaient médité ? est-ce quand le moine Jacques Clément, animé de l’esprit de la Ligue, assassina Henri III ? est-ce après ou avant le massacre de la Saint-Barthélemy ? est-ce quand les Guises régnaient sous le nom de François II ? Est-il possible qu’on ose dire que les Français pensent aujourd’hui comme ils pensaient dans ces temps abominables ?

« Après un triomphe si rare il ne fallait pas une vertu commune. » Le censeur condamne ce passage comme s’il supposait une vertu commune auparavant.

Premièrement, on lui dira qu’il serait d’un lâche flatteur et d’un menteur ridicule de prétendre que le prince, l’objet de ce

  1. Ce couteau ou poignard est conservé dans le musée de l’artillerie. (B.)