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ÉLOGE FUNÈBRE DES OFFICIERS

moins hasardeuse[1]. On les a vus, sous un prince aussi vigilant qu’intrépide[2], précipiter leurs ennemis du haut des Alpes, victorieux à la fois de tous les obstacles que la nature, l’art et la valeur, opposaient à leur courage opiniâtre. Champs de Fontenoy[3], rivages de l’Escaut et de la Meuse teints de leur sang, c’est dans vos campagnes que leurs efforts ont ramené la victoire aux pieds de ce roi que les nations conjurées contre lui auraient dû choisir pour leur arbitre. Que n’ont-ils point exécuté, ces héros dont la foule est connue à peine ?

Qu’avaient donc au-dessus d’eux ces centurions et ces tribuns des légions romaines ? En quoi les passaient-ils, si ce n’est peut-être dans l’amour invariable de la discipline militaire ? Les anciens Romains éclipsèrent, il est vrai, toutes les autres nations de l’Europe, quand la Grèce fut amollie et désunie et quand les autres peuples étaient encore des barbares destitués de bonnes lois, sachant combattre et ne sachant pas faire la guerre, incapables de se réunir à propos contre l’ennemi commun, privés du commerce, privés de tous les arts et de toutes les ressources. Aucun peuple n’égale encore les anciens Romains. Mais l’Europe entière vaut aujourd’hui beaucoup mieux que ce peuple vainqueur et législateur, soit que l’on considère tant de connaissances perfectionnées, tant de nouvelles inventions ; ce commerce immense et habile qui embrasse les deux mondes ; tant de villes opulentes élevées dans des lieux qui n’étaient que des déserts sous les consuls et sous les Césars ; soit qu’on jette les yeux sur ces armées nombreuses et disciplinées qui défendent vingt royaumes policés ; soit qu’on perce cette politique toujours profonde, toujours agissante, qui tient la balance entre tant de nations. Enfin la jalousie même qui règne entre les peuples modernes, qui excite leur génie et qui anime leurs travaux, sert encore à élever l’Europe au-dessus de ce qu’elle admirait stérilement dans l’ancienne Rome, sans avoir ni la force ni même le désir de l’imiter. Mais, de tant de nations, en est-il une qui puisse se vanter de renfermer dans son sein un pareil nombre d’officiers tels que les nôtres ? Quelquefois, ailleurs, on sert pour faire sa fortune, et parmi nous on prodigue la sienne pour servir ; ailleurs on trafique de son sang avec des maîtres étrangers, ici on brûle de donner sa

  1. Voyez, tome XV, le chapitre II du Précis du Siècle de Louis XV ; et tome XX, page 604.
  2. Le prince de Conti ; voyez, tome XV, le chapitre IX du Précis du Siècle de Louis XV.
  3. Voyez, tome XV, le chapitre XV du Précis du Siècle de Louis XV.