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DISSERTATION SUR LES CHANGEMENTS

La mer, qui s’est retirée à quelques lieues de ses anciens rivages, a regagné peu à peu sur quelques autres terrains. De cette perte presque insensible, on s’est cru en droit de conclure qu’elle a longtemps couvert le reste du globe. Fréjus, Narbonne, Ferrare, etc., ne sont plus des ports de mer ; la moitié du petit pays de l’Ost-Frise a été submergée par l’océan : donc autrefois les baleines ont nagé pendant des siècles sur le mont Taurus et sur les Alpes, et le fond de la mer a été peuplé d’hommes.

Ce système des révolutions physiques de ce monde a été fortifié dans l’esprit de quelques philosophes par la découverte du chevalier de Louville. On sait que cet astronome, en 1714, alla exprès à Marseille pour observer si l’obliquité de l’écliptique était encore telle qu’elle y avait été fixée par Pytheas, environ 2,000 ans auparavant ; il la trouva moindre de vingt minutes, c’est-à-dire qu’en 2,000 ans l’écliptique, selon lui, s’était approchée de l’équateur d’un tiers de degré ; ce qui prouve qu’en 6,000 ans elle s’approcherait d’un degré entier.

Cela supposé, il est évident que la terre, outre les mouvements qu’on lui connaît, en aurait encore un qui la ferait tourner sur elle-même d’un pôle à l’autre. Il se trouverait que, dans 23,000 ans, le soleil serait pour la terre très-longtemps dans l’équateur, et que dans une période d’environ deux millions d’années tous les climats du monde auraient été tour à tour sous la zone torride et sous la zone glaciale. Pourquoi, disait-on, s’effrayer d’une période de deux millions d’années ? Il y en a probablement de plus longues entre les positions réciproques des astres. Nous connaissons déjà un mouvement à la terre, lequel s’accomplit en plus de 25,000 ans : c’est la précession des équinoxes. Des révolutions de mille millions d’années sont infiniment moindres aux yeux de l’Architecte éternel de l’univers que n’est pour nous celle d’une roue qui achève son tour en un clin d’œil. Cette nouvelle période, imaginée par le chevalier de Louville, soutenue et corrigée par plusieurs astronomes, fit rechercher les anciennes observations de Babylone, transmises aux Grecs par Alexandre, et conservées à la postérité par Ptolémée dans son Almageste[1].

  1. Il est prouvé que l’obliquité de l’écliptique n’est point constante, et qu’elle éprouve une variation sensible dans l’espace d’un siècle ; mais doit-on supposer que l’écliplique ait une révolution comme celle de la précession des équinoxes, ou un simple balancement ; ou bien qu’outre ce balancement elle ait une tendance à se rapprocher du plan de Jupiter et de Saturne ? Toutes ces combinaisons sont possibles, et ni les observations ni le calcul ne peuvent nous apprendre encore laquelle mérite la préférence. Il n’en faut pas être surpris : nous n’avons d’observations exactes que depuis un siècle environ, et il n’y a qu’un peu plus de trente ans que nous savons appliquer le calcul à ces grandes questions.

    Au reste, le changement qui résulterait de cette révolution de l’écliptique affecterait surtout la température des différentes parties du globe, la durée de leurs jours, les mouvements apparents des corps célestes, etc., mais influerait très-peu sur l’équilibre des fluides placés à la surface. (K.) — Il est bien vrai que l’écliptique se déplace de 28 secondes par siècle. (D.)