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DISCOURS DE M. DE VOLTAIRE

bonheur, et dans l’adversité, dans ses camps, dans ses palais, dans les cours de l’Europe et de l’Asie ; les terres et les mers rendaient témoignage à sa magnificence ; et les plus petits objets, sitôt qu’ils avaient à lui quelque rapport, prenaient un nouveau caractère, et recevaient l’empreinte de sa grandeur. L’autre protége des empereurs et des rois, subjugue des provinces, interrompt le cours de ses conquêtes pour aller secourir ses sujets, et y vole du sein de la mort dont il est à peine échappé. Il remporte des victoires ; il fait les plus grandes choses avec une simplicité qui ferait penser que ce qui étonne le reste des hommes est pour lui dans l’ordre le plus commun et le plus ordinaire. Il cache la hauteur de son âme, sans s’étudier même à la cacher ; et il ne peut en affaiblir les rayons qui, en perçant malgré lui le voile de sa modestie, y prennent un éclat plus durable.

Louis XIV se signala par des monuments admirables, par l’amour de tous les arts, par les encouragements qu’il leur prodiguait. Ô vous, son auguste successeur, vous l’avez déjà imité, et vous n’attendez que cette paix que vous cherchez par des victoires, pour remplir tous vos projets bienfaisants qui demandent des jours tranquilles.

Vous avez commencé vos triomphes dans la même province où commencèrent ceux de votre bisaïeul, et vous les avez étendus plus loin. Il regretta de n’avoir pu, dans le cours de ses glorieuses campagnes, forcer un ennemi digne de lui à mesurer ses armes avec les siennes, en bataille rangée. Cette gloire qu’il désira, vous en avez joui. Plus heureux que le grand Henri, qui ne remporta presque de victoires que sur sa propre nation, vous avez vaincu les éternels et intrépides ennemis de la vôtre. Votre fils, après vous, l’objet de nos vœux et de notre crainte, apprit à vos côtés à voir le danger et le malheur même sans être troublé, et le plus beau triomphe sans être ébloui. Lorsque nous tremblions pour vous dans Paris, vous étiez au milieu d’un champ de carnage, tranquille dans les moments d’horreur et de confusion, tranquille dans la joie tumultueuse de vos soldats victorieux ; vous embrassiez ce général[1] qui n’avait souhaité de vivre que pour vous voir triompher, cet homme que vos vertus et les siennes ont fait votre sujet, que la France comptera toujours parmi ses enfants les plus chers et les plus illustres. Vous récompensiez déjà par votre témoignage et par vos éloges tous

  1. Le maréchal de Saxe ; voyez, tome XV, le chapitre xv du Précis du Siècle de Louis XV.