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À L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

Marot l’élégant badinage. » J’ose croire qu’il aurait dit le neuf badinage, si ce mot plus vrai n’eût rendu son vers moins coulant. Il n’y a de véritablement bons ouvrages que ceux qui passent chez les nations étrangères, qu’on y apprend, qu’on y traduit ; et chez quel peuple a-t-on jamais traduit Marot ?

Notre langue ne fut longtemps après lui qu’un jargon familier, dans lequel on réussissait quelquefois à faire d’heureuses plaisanteries ; mais quand on n’est que plaisant, on n’est point admiré des autres nations.


Enfin Malherbe vint, et le premier en France[1]
Fit sentir dans les vers une juste cadence,
D’un mot mis en sa place enseigna le pouvoir.


Si Malherbe montra le premier ce que peut le grand art des expressions placées, il est donc le premier qui fut élégant ; mais quelques stances harmonieuses suffisaient-elles pour engager les étrangers à cultiver notre langage ? Ils lisaient le poëme admirable de la Jérusalem, l’Orlando, le Pastor Fido, les beaux morceaux de Pétrarque. Pouvait-on associer à ces chefs-d’œuvre un très-petit nombre de vers français, bien écrits à la vérité, mais faibles et presque sans imagination ?

La langue française restait donc à jamais dans la médiocrité, sans un de ces génies faits pour changer et pour élever l’esprit de toute une nation : c’est le plus grand de vos premiers académiciens, c’est Corneille seul qui commença à faire respecter notre langue des étrangers, précisément dans le temps que le cardinal de Richelieu commençait à faire respecter la couronne. L’un et l’autre portèrent notre gloire dans l’Europe. Après Corneille sont venus, je ne dis pas de plus grands génies, mais de meilleurs écrivains. Un homme s’éleva, qui fut à la fois plus passionné et plus correct, moins varié, mais moins inégal, aussi sublime quelquefois, et toujours noble sans enflure ; jamais déclamateur, parlant au cœur avec plus de vérité et plus de charmes.

Un de leurs contemporains, incapable peut-être du sublime qui élève l’âme, et du sentiment qui l’attendrit, mais fait pour éclairer ceux à qui la nature accorda l’un et l’autre, laborieux, sévère, précis, pur, harmonieux, qui devint enfin le poëte de la raison, commença malheureusement par écrire des satires ; mais bientôt après il égala et surpassa peut-être Horace dans la morale et dans l’art poétique : il donna les préceptes et les exemples ; il

  1. Art poétique, I, 131.