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DISCOURS DE M. DE VOLTAIRE
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les cultiver pour elles-mêmes[1]. Il était peut-être à craindre qu’un jour des travaux si honorables ne se ralentissent. Ce fut pour les conserver dans leur vigueur que vous vous fîtes une règle de n’admettre aucun académicien qui ne résidât dans Paris. Vous vous êtes écartés sagement de cette loi, quand vous avez reçu de ces génies rares que leurs dignités appelaient ailleurs, mais que leurs ouvrages touchants ou sublimes rendaient toujours présents parmi vous : car ce serait violer l’esprit d’une loi que de n’en pas transgresser la lettre en faveur des grands hommes. Si feu M. le président Bouhier, après s’être flatté de vous consacrer ses jours, fut obligé de les passer loin de vous, l’Académie et lui se consolèrent, parce qu’il n’en cultivait pas moins vos sciences dans la ville de Dijon, qui a produit tant d’hommes de lettres[2], et où le mérite de l’esprit semble être un des caractères des citoyens.

Il faisait ressouvenir la France de ces temps où les plus austères magistrats, consommés comme lui dans l’étude des lois, se délassaient des fatigues de leur état dans les travaux de la littérature. Que ceux qui méprisent ces travaux aimables, que ceux qui mettent je ne sais quelle misérable grandeur à se renfermer dans le cercle étroit de leurs emplois, sont à plaindre ! Ignorent-ils que Cicéron, après avoir rempli la première place du monde, plaidait encore les causes des citoyens, écrivait sur la nature des dieux, conférait avec des philosophes ; qu’il allait au théâtre, qu’il daignait cultiver l’amitié d’Ésopus et de Roscius, et laissait

    « Quoiqu’un discours à l’Académie ne soit d’ordinaire qu’un compliment plein de louanges rebattues, et surchargé de l’éloge d’un prédécesseur qui se trouve souvent un homme très-médiocre ; cependant ce discours, dont plusieurs personnes nous ont demandé la réimpression, doit être excepté de la loi commune, qui condamme à l’oubli la plupart de ces pièces d’appareil, où l’on ne trouve rien. Il y a ici quelque chose, et les notes sont utiles. »

    On a quelquefois attribué aux éditeurs de Kehl ce petit Avertissement, qui est peut-être de Voltaire lui-même. Les notes avaient été ajoutées en 1748. (B.)

  1. L’Académie française est la plus ancienne de France ; elle fut d’abord composée de quelques gens de lettres, qui s’assemblaient pour conférer ensemble. Elle n’est point partagée en honoraires et pensionnaires ; elle n’a que des droits honorifiques, comme celui des commensaux de la maison du roi, de ne point plaider hors de Paris ; celui de haranguer le roi en corps avec les cours supérieures, et de ne rendre compte directement qu’au roi. (Note de Voltaire.)
  2. MM. de La Monnoie, Bouhier, Lantin, et surtout l’éloquent Bossuet, évêque de Meaux, regardé comme le dernier Père de l’Église. (Id.)