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EXPOSITION DU LIVRE

il n’y a peut-être pas deux points dans un lingot d’or entre lesquels il n’y ait de la distance.

C’est de cette loi que Leibnitz tire cet axiome : Il ne se fait rien par saut dans la nature. Si cet axiome n’est vrai que dans le mouvement, cela ne veut dire autre chose sinon que ce qui est en mouvement n’est pas en repos : car un mouvement est continué sans interruption jusqu’à ce qu’il périsse ; et tant qu’il dure il ne peut admettre du repos. Il en faut donc toujours revenir au grand principe de la contradiction, première source de toutes nos connaissances, c’est-à-dire qu’une chose ne peut exister et n’exister pas en même temps ; et c’est aussi le premier principe admis par l’illustre auteur, et qui tient lieu de tous ceux que Leibnitz y veut ajouter.

Si on prétendait que la loi de continuité a lieu dans toute l’économie de la nature, on se jetterait dans d’assez grandes difficultés : il serait, ce me semble, malaisé de prouver qu’il y a une continuité d’idées dans le cerveau d’un homme endormi profondément, et qui est tout d’un coup frappé de la lumière en s’éveillant. Si tout était continu dans la nature, il faudrait qu’il n’y eût point de vide, ce qui n’est pas aisé à prouver ; et s’il y a du vide, on ne voit pas trop comment la matière sera continue. Aussi l’illustre auteur dont je parle ne cite d’autres effets de cette loi de continuité que le mouvement et les lignes courbes à rebroussement produites par le mouvement.

L’auteur des Institutions de physique prouve un Dieu par le moyen de la raison suffisante. Ce chapitre est à la fois subtil et clair. L’auteur paraît pénétré de l’existence d’un Être créateur, que tant d’autres philosophes ont la hardiesse de nier. Elle croit, avec Leibnitz, que Dieu a créé le meilleur des mondes possibles : et, sans y penser, elle est elle-même une preuve que Dieu a créé des choses excellentes.

Tout ce que l’on dit ici des essences, etc., est d’une métaphysique encore plus fine que le chapitre de l’existence de Dieu. Peut-être quelques lecteurs, en lisant ce chapitre, seraient tentés de croire que les essences des choses subsistent en elles-mêmes : je ne crois pas que ce soit la pensée de l’illustre auteur.

Le sage Locke regarde l’essence des choses uniquement comme une idée abstraite que nous attachons aux êtres, soit qu’ils existent ou non. Par exemple, une figure fermée de trois côtés est appelée du nom de triangle ; nous appelons ainsi tout ce que nous concevons de cette espèce. C’est là son essence, ab essendo ; c’est ce qui est, soit dans notre imagination, soit en effet. Ainsi, quand