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SOMMAIRES DES PIÈCES DE MOLIÈRE.

Voyez surtout cet endroit[1] :

Allez, tous vos discours ne me font point de peur ;
Je sais comme je parle, et le ciel voit mon cœur.
Il est de faux dévots ainsi que de faux braves, etc.

Presque tous les caractères de cette pièce sont originaux ; il n’y en a aucun qui ne soit bon, et celui du Tartuffe est parfait. On admire la conduite de la pièce jusqu’au dénoûment ; on sent combien il est forcé, et combien les louanges du roi, quoique mal amenées, étaient nécessaires pour soutenir Molière contre ses ennemis[2].

Dans les premières représentations, l’imposteur se nommait Panulphe, et ce n’était qu’à la dernière scène qu’on apprenait son véritable nom de Tartuffe, sous lequel ses impostures étaient supposées être connues du roi. À cela près, la pièce était comme elle est aujourd’hui. Le changement le plus marqué qu’on y ait fait est à ce vers :

Ô ciel ! pardonne-moi la douleur qu’il me donne[3].

Il y avait :

Ô ciel ! pardonne-moi, comme je lui pardonne.

Qui croirait que le succès de cette admirable pièce eût été balancé par celui d’une comédie qu’on appelle la Femme juge et partie, qui fut jouée à l’hôtel de Bourgogne aussi longtemps que le Tartuffe au Palais-Royal ? Montfleury[4], comédien de l’hôtel de Bourgogne, auteur de la Femme juge et partie, se croyait égal à Molière, et la préface qu’on a mise au devant du recueil de ce Montfleury avertit que Monsieur de Monfleury était un grand homme. Le succès de la Femme juge et partie, et de tant d’autres pièces médiocres, dépend uniquement d’une situation que le jeu d’un acteur fait valoir. On sait qu’au théâtre il faut peu de chose pour faire réussir ce qu’on méprise à la lecture. On représenta sur le théâtre de l’hôtel de Bourgogne, à la suite de la

  1. Acte Ier, scène vi.
  2. Ce dénoûment était le seul historiquement vraisemblable. C’est ainsi qu’on le juge aujourd’hui.
  3. Acte III, scène vii. Dans toutes les éditions du Tartuffe, on lit pardonne-lui. Voltaire, en 1739 et en 1764, a imprimé pardonne-moi, comme dans la variante.
  4. Antoine Jacob, dit Montfleury, auteur de la Femme juge et partie, n’était pas comédien. C’était son père qui l’avait été sous ce nom de Montfleury.