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SOMMAIRES DES PIÈCES DE MOLIÈRE.

doubler pour la première fois le prix ordinaire, qui n’était alors que de dix sous au parterre[1].

Dès la première représentation, Ménage, homme célèbre dans ce temps-là, dit au fameux Chapelain : « Nous adorions, vous et moi, toutes les sottises qui viennent d’être si bien critiquées ; croyez-moi, il nous faudra brûler ce que nous avons adoré. » Du moins c’est ce que l’on trouve dans le Ménagiana ; et il est assez vraisemblable que Chapelain, homme alors très-estimé, et cependant le plus mauvais poëte qui ait jamais été, parlait lui-même le jargon des Précieuses ridicules chez Mme de Longueville, qui présidait, à ce que dit le cardinal de Retz[2], à ces combats spirituels dans lesquels on était parvenu à ne se point entendre.

La pièce est sans intrigue et toute de caractère. Il y a très-peu de défauts contre la langue, parce que, lorsqu’on écrit en prose, on est bien plus maître de son style ; et parce que Molière, ayant à critiquer le langage des beaux esprits du temps, châtia le sien davantage. Le grand succès de ce petit ouvrage lui attira des critiques que l’Étourdi et le Dépit amoureux n’avaient pas essuyées. Un certain Antoine Bodeau[3] fit les Véritables Précieuses : on parodia la pièce de Molière ; mais toutes ces critiques et ces parodies sont tombées dans l’oubli, qu’elles méritaient.

On sait qu’à une représentation des Précieuses ridicules un vieillard s’écria du milieu du parterre : « Courage, Molière ! voilà la bonne comédie. » On eut honte de ce style affecté, contre lequel Molière et Despréaux se sont toujours élevés. On commença à ne plus estimer que le naturel, et c’est peut-être l’époque du bon goût en France.

L’envie de se distinguer a ramené depuis le style des Précieuses : on le retrouve encore dans plusieurs livres modernes[4]. L’un[5] en traitant sérieusement de nos lois, appelle un exploit un compliment timbré. L’autre[6] écrivant à une maîtresse en l’air, lui dit : « Votre nom est écrit en grosses lettres sur mon cœur… Je veux vous faire peindre en Iroquoise, mangeant une demi-douzaine de cœurs par amusement. » Un troisième[7] appelle un cadran au

  1. De quinze sous. Ce prix ne fut doublé qu’à la deuxième représentation.
  2. On a cherché vainement où le cardinal de Retz a dit cela.
  3. Antoine Bodeau, sieur de Somaize.
  4. Au lieu de ces derniers mots, l’édition de 1739 porte : « dans plusieurs auteurs célèbres. » Tout ce qui suit, jusqu’à « Ce style a reparu », manque dans cette même édition.
  5. Tourreil. (Note de Voltaire.)
  6. Fontenelle. (Id.)
  7. Lamotte. (Id.)