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DE L’ATTRACTION.

en ligne perpendiculaire, la ligne perpendiculaire étant le plus court chemin.

Puisque cette force existe, elle est dans toutes les parties du corps qui l’exerce. Les parties de la superficie d’un corps quelconque éprouvent donc ce pouvoir avant qu’il pénètre l’intérieur de la substance, avant qu’il parvienne au point où il est dirigé (figure 26). Ainsi, dès que ce rayon est arrivé près de la superficie du cristal ou de l’eau, il prend déjà un peu en cette manière le chemin de la perpendicule.

Il se brise déjà un peu en C avant que d’entrer : plus il entre, plus il se brise, parce que plus il s’approche, plus il est attiré. Il a encore une raison importante pour laquelle le rayon s’infléchit nécessairement par une courbure insensible avant que de pénétrer en ligne droite dans le cristal : c’est parce qu’il n’y a point d’angle rigoureux dans la nature ; un mouvement continu ne peut changer de direction qu’en passant par tous les degrés possibles de changement ; il ne peut donc, de la ligne droite, passer tout d’un coup en une autre ligne droite sans tracer une petite courbe qui joigne ces deux lignes ensemble. Ainsi le principe de continuité, établi par Leibnitz, et l’attraction de Newton, se réunissent dans ce phénomène. Ce rayon ne tombe donc pas tout à fait perpendiculairement, et ne suit pas sa première ligne droite oblique, en traversant cette eau ou ce verre ; mais il suit une ligne qui participe des deux côtés, et qui descend d’autant plus vite que l’attraction de cette eau ou de ce cristal est plus forte. Donc, loin que l’eau rompe les rayons de lumière en leur résistant, comme on le croyait, elle les rompt en effet, parce qu’elle ne résiste pas, et, au contraire, parce qu’elle les attire. Il faut donc dire que les rayons se brisent vers la perpendiculaire, non pas quand ils passent d’un milieu plus facile dans un milieu plus résistant, mais quand ils passent d’un milieu moins attirant dans un milieu plus attirant. Observez qu’il ne faut jamais entendre par ce mot attirant que le point vers lequel se dirige une force reconnue, une propriété incontestable de la matière, laquelle propriété est très-sensible entre la lumière et les corps. Que l’on considère que, depuis l’an 1672 que Newton fit voir cette attraction, aucun philosophe n’a pu imaginer une raison plausible de ce brisement de la lumière.

Les uns vous disent : Le cristal réfracte les rayons de lumière parce qu’il leur résiste ; mais, s’il leur résiste, pourquoi ces rayons y entrent-ils plus facilement et avec plus de vitesse[1] ? Les autres

  1. Voyez la note 1 de la page 441.