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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE V.

CHAPITRE V.
De la religion naturelle. — Reproche de Leibnitz à Newton, peu fondé. Réfutation d’un sentiment de Locke. Le bien de la société. Religion naturelle. Humanité.


Leibnitz, dans sa dispute avec Newton, lui reprocha de donner de Dieu des idées fort basses, et d’anéantir la religion naturelle.

    immuables ? Si un homme pouvait diriger à son gré sa volonté, n’est-il pas clair qu’il pourrait alors déranger ces lois immuables ?|0|1}}

    « 12. Par quel privilége l’homme ne serait-il pas soumis à la même nécessité que les astres, les animaux, les plantes, et tout le reste de la nature ?
    « 13. A-t-on raison de dire que dans le système de cette fatalité universelle les peines et les récompenses seraient inutiles et absurdes ? N’est-ce pas plutôt évidemment dans le système de la liberté que paraît l’inutilité et l’absurdité des peines et des récompenses ? En effet, si un voleur de grand chemin possède une volonté libre, se déterminant uniquement par elle-même, la crainte du supplice peut fort bien ne le pas déterminer à renoncer au brigandage ; mais si les causes physiques agissent uniquement, si l’aspect de la potence et de la roue fait une impression nécessaire et violente, elle corrige alors nécessairement le scélérat, témoin du supplice d’un autre scélérat.
    « 14. Pour savoir si l’âme est libre, ne faudrait-il pas savoir ce que c’est que l’âme ? Y a-t-il un homme qui puisse se vanter que sa raison seule lui démontre la spiritualité, l’immortalité de cette âme ? Presque tous les physiciens conviennent que le principe du sentiment est à l’endroit où les nerfs se réunissent dans le cerveau. Mais cet endroit n’est pas un point mathématique. L’origine de chaque nerf est étendue. Il y a là un timbre sur lequel frappent les cinq organes de nos sens. Quel est l’homme qui concevra que ce timbre ne tienne point de place ? Ne sommes-nous pas des automates nés pour vouloir toujours, pour faire quelquefois ce que nous voulons, et quelquefois le contraire ? Des étoiles au centre de la terre, hors de nous et dans nous, toute substance nous est inconnue. Nous ne voyons que des apparences : nous sommes dans un songe.
    « 15. Que dans ce songe on croie la volonté libre ou esclave, la fange organisée dont nous sommes pétris, douée d’une faculté immortelle ou périssable ; qu’on pense comme Épicure ou comme Socrate, les roues qui font mouvoir la machine de l’univers seront toujours les mêmes. »


    Les éditeurs de Kehl avaient mis en note ce qui suit :

    « Quelque parti que l’on prenne sur cette question épineuse, il est impossible de ne pas convenir que, dans les actions qu’on appelle libres, l’homme a la conscience des motifs qui le font agir. Il peut donc connaître quelles actions sont conformes à la justice, à l’intérêt général des hommes, et les motifs qu’il peut avoir de faire ces actions, et d’éviter celles qui y sont contraires. Ces motifs agissent sur lui : il y a donc une morale. L’espoir des récompenses, la crainte des peines sont au nombre de ces motifs ; ces sentiments peuvent donc être utiles ; les peines et les récompenses peuvent donc être justes. S’il a cédé à un motif injuste, il en sera fâché, lorsque ce motif cessera d’agir avec la même force : il se repentira, il aura des remords. Il croira qu’averti par son expérience ce motif n’aura plus le pouvoir de l’entraîner une autre fois ; il se promettra donc de ne plus retomber. Ainsi quelque système que l’on prenne sur la liberté, sans excepter le