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VIE DE M. J.-B. ROUSSEAU.


recevait de ses gens. Il composa contre lui une petite satire intitulée la Baronnade, comme il avait intitulé sa pièce contre Moïse, la Moïsade ; et comme depuis il appela celle contre M. de Francine, la Francinade : il l’avoua quelques années après à Mme la duchesse de Saint-Pierre, sœur de M. de Torcy. Le bruit de cette satire vint aux oreilles du baron ; mais Rousseau lui protesta avec serment que c’était une calomnie. Il lui fut aisé de persuader son maître, car il n’avait donné aucune copie de cette satire. Son maître resta son protecteur ; il le mit chez M. Rouillé, intendant des finances, dans l’espérance que M. Rouillé lui procurerait un emploi à l’aide duquel il pourrait cultiver son talent. M. Rouillé avait lui-même quelque disposition à la poésie ; il faisait des chansons de table assez passablement, et ce fut chez lui que Rousseau fit ses premières épigrammes dans le goût de Marot, et quelques vaudevilles.

M. Rouillé avait une maîtresse, nommée Mlle de Louvancourt, qui avait une très-jolie voix, et qui quelquefois composa les paroles de ses chansons. Rousseau apprit un peu de musique pour leur plaire ; il composa aussi les paroles des cantates que Dernier, maître de la Sainte-Chapelle, mit en musique, et ce sont les premières cantates que nous ayons eues en français. Il les retoucha depuis. Il y en a de très-belles ; c’est un genre nouveau dont nous lui avons l’obligation.

Cette vie qu’il menait chez M. Rouillé eût été délicieuse ; mais le malheureux penchant qu’il avait pour la satire lui fit perdre bientôt son bonheur et ses espérances. M. Rouillé avait fait une chanson qui commençait ainsi :

Charmante Louvancourt,
Qui donnez chaque jour
Quelque nouvel amour, etc.

Rousseau la parodia d’une manière injurieuse :

Catin de Louvancourt,
Qui prenez chaque jour
Quelque nouvel amour.

Le reste contient des expressions que la pudeur ne permet pas de rapporter.

Voilà donc encore Rousseau chassé de chez ce nouveau patron ; et c’est pourquoi, dans les éditions qu’il a faites en Hollande de ses ouvrages, il a ôté le nom de M. Rouillé de