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CHAPITRE VIII.

bien qu’il n’a pas dû rester longtemps dans un état entièrement sauvage.

Il suffit, pour que l’univers soit ce qu’il est aujourd’hui, qu’un homme ait été amoureux d’une femme. Le soin mutuel qu’ils auront eu l’un de l’autre, et leur amour naturel pour leurs enfants, auront bientôt éveillé leur industrie, et donné naissance au commencement grossier des arts. Deux familles auront eu besoin l’une de l’autre sitôt qu’elles auront été formées, et de ces besoins seront nées de nouvelles commodités.

L’homme n’est pas comme les autres animaux qui n’ont que l’instinct de l’amour-propre et celui de l’accouplement ; non-seulement il a cet amour-propre nécessaire pour sa conservation, mais il a aussi, pour son espèce, une bienveillance naturelle qui ne se remarque point dans les bêtes.

Qu’une chienne voie en passant un chien de la même mère déchiré en mille pièces et tout sanglant, elle en prendra un morceau sans concevoir la moindre pitié, et continuera son chemin ; et cependant cette même chienne défendra son petit, et mourra en combattant plutôt que de souffrir qu’on le lui enlève.

Au contraire, que l’homme le plus sauvage voie un joli enfant prêt d’être dévoré par quelque animal, il sentira malgré lui une inquiétude, une anxiété que la pitié fait naître, et un désir d’aller à son secours. Il est vrai que ce sentiment de pitié et de bienveillance est souvent étouffé par la fureur de l’amour-propre : aussi la nature sage ne devait pas nous donner plus d’amour pour les autres que pour nous-mêmes ; c’est déjà beaucoup que nous ayons cette bienveillance qui nous dispose à l’union avec les hommes.

Mais cette bienveillance serait encore un faible secours pour nous faire vivre en société ; elle n’aurait jamais pu servir à fonder de grands empires et des villes florissantes, si nous n’avions pas eu de grandes passions.

Ces passions, dont l’abus fait à la vérité tant de mal, sont en effet la principale cause de l’ordre que nous voyons aujourd’hui sur la terre. L’orgueil est surtout le principal instrument avec lequel on a bâti ce bel édifice de la société. À peine les besoins eurent rassemblé quelques hommes que les plus adroits d’entre eux s’aperçurent que tous ces hommes étaient nés avec un orgueil indomptable aussi bien qu’avec un penchant invincible pour le bien-être.

Il ne fut pas difficile de leur persuader que, s’ils faisaient pour le bien commun de la société quelque chose qui leur coûtât un