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SUR LES GENS DE LETTRES.

penser d’avoir fait un aussi admirable ouvrage que son Essai sur l’Homme[1].


LETTRE XXIII[2].

sur la considération qu’on doit aux gens de lettres.

[3]Ni en Angleterre ni en aucun pays du monde on ne trouve des établissements en faveur des beaux-arts comme en France. Il y a presque partout des universités ; mais[4] c’est dans la France seule qu’on trouve ces utiles encouragements pour l’astronomie, pour toutes les parties des mathématiques, pour celles de la médecine, pour les recherches de l’antiquité, pour la peinture, la sculpture, et l’architecture. Louis XIV s’est immortalisé par toutes ces fondations, et cette immortalité ne lui a pas coûté deux cent mille francs par an.

J’avoue que c’est un de mes étonnements que le parlement d’Angleterre, qui s’est avisé de promettre vingt mille guinées à celui qui ferait l’impossible découverte des longitudes, n’ait jamais pensé à imiter Louis XIV dans sa magnificence envers les arts.

Le mérite trouve à la vérité, en Angleterre, d’autres récompenses plus honorables pour la nation : tel est le respect que ce peuple a pour les talents qu’un homme de mérite y fait toujours fortune. M. Addison, en France, eût été de quelque académie, et aurait pu obtenir, par le crédit de quelque femme, une pension de douze cents livres, ou plutôt on lui aurait fait des affaires sous prétexte qu’on aurait aperçu dans sa tragédie de Caton quelques traits contre le portier d’un homme en place ; en

  1. Depuis l’impression de ce jugement sur Pope, l’Essai sur l’Homme a été traduit par l’abbé du Resnel et par M. de Fontanes. Il en existe aussi une traduction manuscrite de M. l’abbé Delille. Ce poëme doit perdre de sa réputation à mesure que la philosophie fera des progrès ; il se borne à dire que l’homme n’est qu’une partie de l’ordre général du monde, et qu’ainsi nous ne devons pas nous plaindre de notre état. Ce n’est, comme le système de Leibnitz, que le fatalisme un peu déguisé, et mis à la portée du grand nombre. (K.) — La traduction de l’Essai sur l’Homme, par Delille, a été publiée en 1821, en même temps qu’une nouvelle édition de la traduction de Fontanes.
  2. Dans l’édition de Kehl, cette lettre se trouve parmi les Mélanges littéraires, sous ce titre : Sur la Considération qu’on doit aux gens de lettres, fragment d’une lettre. La lettre y est tout entière ; la différence consiste en quelques légères variantes et en deux transpositions que j’indique. (B.)
  3. 1734. « On ne trouve ni en Angleterre, ni en aucun pays du monde, »
  4. 1734. « Mais c’est en France seule. »