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SUR DESCARTES ET NEWTION.

sauront jamais s’il y a eu un[1] M. Locke au monde ; dans la vingtième partie qui reste, combien trouve-t-on peu d’hommes qui lisent ? et parmi ceux qui lisent, il y en a vingt qui lisent des romans contre un qui étudie en philosophie. Le nombre de ceux qui pensent est excessivement petit, et ceux-là ne s’avisent pas de troubler le monde.

Ce n’est ni Montaigne, ni Locke, ni Bayle, ni Spinosa, ni Hobbes, ni milord Shaftesbury, ni M. Collins, ni M. Toland[2] ni Fludd, ni Bekker, ni M. le comte de Boulainvilliers, etc., qui ont porté le flambeau de la discorde dans leur patrie : ce sont, pour la plupart, des théologiens qui, ayant eu d’abord l’ambition d’être chefs de sectes, ont eu bientôt celle d’être chefs de partis. Que dis-je ? tous ces livres des philosophes modernes mis ensemble ne feront jamais dans le monde autant de bruit seulement qu’en a fait autrefois la dispute des cordeliers sur la forme de leurs manches et de leur capuchon.


LETTRE XIV[3].

sur descartes et newton.

Un Français qui arrive à Londres trouve les choses bien changées en philosophie comme dans tout le reste[4]. Il a laissé le monde plein, il le trouve vide. À Paris on voit l’univers composé de tourbillons de matière subtile ; à Londres on ne voit rien de cela. Chez nous c’est la pression de la lune qui cause le flux de la mer ; chez les Anglais c’est la mer qui gravite vers la lune ; de façon que quand vous croyez que la lune devrait nous donner marée haute, ces messieurs croient qu’on doit avoir marée basse : ce qui malheureusement ne peut se vérifier, car il aurait fallu, pour s’en éclaircir, examiner la lune et les marées au premier instant de la création.

Vous remarquerez encore que le soleil, qui en France n’entre pour rien dans cette affaire, y contribue ici environ pour son quart. Chez nos cartésiens tout se fait par une impulsion qu’on

  1. 1734. « Un Locke. »
  2. 1734. « Ni M. Toland, etc., qui ont porté. »
  3. Cette lettre formait, dans le Dictionnaire philosophique, édition Kehl, la première section de l’article Newton et Descartes.
  4. Lorsque cet article a été écrit (1728), plus de quarante ans après la publication du livre des Principes, toute la France était encore cartésienne. (K.)