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MIRACLES.

peut se tromper. On appelle un sot, témoin de miracles ; et non-seulement bien des gens pensent avoir vu ce qu’ils n’ont pas vu, et avoir entendu ce qu’on ne leur a point dit ; non-seulement ils sont témoins de miracles, mais ils sont sujets de miracles. Ils ont été tantôt malades, tantôt guéris par un pouvoir surnaturel. Ils ont été changés en loups ; ils ont traversé les airs sur un manche à balai ; ils ont été incubes et succubes.

Il faut que le miracle ait été bien vu par un grand nombre de gens très-sensés, se portant bien, et n’ayant nul intérêt à la chose. Il faut surtout qu’il ait été solennellement attesté par eux : car si on a besoin de formalités authentiques pour les actes les plus simples, comme l’achat d’une maison, un contrat de mariage, un testament, quelles formalités ne faudra-t-il pas pour constater des choses naturellement impossibles, et dont le destin de la terre doit dépendre ?

Quand un miracle authentique est fait, il ne prouve encore rien : car l’Écriture vous dit en vingt endroits que des imposteurs peuvent faire des miracles, et que si un homme, après en avoir fait, annonce un autre dieu que le dieu des Juifs, il faut le lapider.

On exige donc que la doctrine soit appuyée par les miracles, et les miracles par la doctrine.

Ce n’est point encore assez. Comme un fripon peut prêcher une très-bonne morale pour mieux séduire, et qu’il est reconnu que des fripons, comme les sorciers de Pharaon, peuvent faire des miracles, il faut que ces miracles soient annoncés par des prophéties.

Pour être sûr de la vérité de ces prophéties, il faut les avoir entendu annoncer clairement, et les avoir vu s’accomplir réellement[1]. Il faut posséder parfaitement la langue dans laquelle elles sont conservées.

Il ne suffit pas même que vous soyez témoin de leur accomplissement miraculeux : car vous pouvez être trompé par de fausses apparences. Il est nécessaire que le miracle et la prophétie soient juridiquement constatés par les premiers de la nation ; et encore se trouvera-t-il des douleurs. Car il se peut que la nation soit intéressée à supposer une prophétie et un miracle ; et dès que l’intérêt s’en mêle, ne comptez sur rien. Si un miracle prédit n’est pas aussi public, aussi avéré qu’une éclipse annoncée dans l’almanach, soyez sûr que ce miracle n’est qu’un tour de gibecière, ou un conte de vieille[2].

  1. Voyez Prophéties. (Note de Voltaire.)
  2. Dans les Questions sur l’Encyclopédie, on lisait encore ici :
    « Les miracles des premiers temps du christianisme sont incontestables ; mais ceux qu’on fait aujourd’hui n’ont pas la même authenticité. Citons à ce propos ce que j’ai lu dans un petit livre curieux. »

    Puis on trouvait les deux derniers alinéas de ce qui forme aujourd’hui la première section, et qui avait, comme on l’a vu, été publié dans le Dictionnaire philosophique, en 1764. (B.)