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MIRACLES.

Si on fait souvenir ces philosophes que, selon saint Jérôme, dans sa Vie de l’ermite Paul, cet ermite eut plusieurs conversations avec des satyres et avec des faunes ; qu’un corbeau lui apporta tous les jours pendant trente ans la moitié d’un pain pour son dîner, et un pain tout entier le jour que saint Antoine vint le voir, ils pourront répondre encore que tout cela n’est pas absolument contre la physique, que des satyres et des faunes peuvent avoir existé, et qu’en tout cas, si ce conte est une puérilité, cela n’a rien de commun avec les vrais miracles du Sauveur et de ses apôtres. Plusieurs bons chrétiens ont combattu l’histoire de saint Siméon Stylite, écrite par Théodoret ; beaucoup de miracles qui passent pour authentiques dans l’Église grecque ont été révoqués en doute par plusieurs Latins, de même que des miracles latins ont été suspects à l’Église grecque ; les protestants sont venus ensuite, qui ont fort maltraité les miracles de l’une et l’autre Église.

Un savant jésuite[1] qui a prêché longtemps dans les Indes, se plaint de ce que ni ses confrères ni lui n’ont jamais pu faire de miracle. Xavier se lamente, dans plusieurs de ses lettres, de n’avoir point le don des langues : il dit qu’il n’est chez les Japonais que comme une statue muette ; cependant les jésuites ont écrit qu’il avait ressuscité huit morts : c’est beaucoup ; mais il faut aussi considérer qu’il les ressuscitait à six mille lieues d’ici. Il s’est trouvé depuis des gens qui ont prétendu que l’abolissement des jésuites en France est un beaucoup plus grand miracle que ceux de Xavier et d’Ignace.

Quoi qu’il en soit, tous les chrétiens conviennent que les miracles de Jésus-Christ et des apôtres sont d’une vérité incontestable ; mais qu’on peut douter à toute force de quelques miracles faits dans nos derniers temps, et qui n’ont pas eu une authenticité certaine.

On souhaiterait, par exemple, pour qu’un miracle fût bien constaté, qu’il fût fait en présence de l’Académie des sciences de Paris, ou de la Société royale de Londres, et de la Faculté de médecine, assistées d’un détachement du régiment des gardes, pour contenir la foule du peuple, qui pourrait, par son indiscrétion, empêcher l’opération du miracle.

On demandait un jour à un philosophe ce qu’il dirait s’il voyait le soleil s’arrêter, c’est-à-dire si le mouvement de la terre autour de cet astre cessait, si tous les morts ressuscitaient, et si

  1. Ospiniam, page 230.