Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/89

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
79
MIRACLES.

prodiges incroyables, surtout dans des temps où l’on savait à peine lire et écrire.

Les philosophes ne répondent à ces objections qu’en riant et en levant les épaules ; mais les philosophes chrétiens disent : Nous croyons aux miracles opérés dans notre sainte religion ; nous les croyons par la foi, et non par notre raison, que nous nous gardons bien d’écouter : car lorsque la foi parle, on sait assez que la raison ne doit pas dire un seul mot ; nous avons une croyance ferme et entière dans les miracles de Jésus-Christ et des apôtres, mais permettez-nous de douter un peu de plusieurs autres ; souffrez, par exemple, que nous suspendions notre jugement sur ce que rapporte un homme simple auquel on a donné le nom de grand. Il assure qu’un petit moine était si fort accoutumé de faire des miracles que le prieur lui défendit enfin d’exercer son talent. Le petit moine obéit ; mais ayant vu un pauvre couvreur qui tombait du haut d’un toit, il balança entre le désir de lui sauver la vie et la sainte obédience. Il ordonna seulement au couvreur de rester en l’air jusqu’à nouvel ordre, et courut vite conter à son prieur l’état des choses. Le prieur lui donna l’absolution du péché qu’il avait commis en commençant un miracle sans permission, et lui permit de l’achever, pourvu qu’il s’en tînt là, et qu’il n’y revînt plus. On accorde aux philosophes qu’il faut un peu se défier de cette histoire.

Mais comment oseriez-vous nier, leur dit-on, que saint Gervais et saint Protais aient apparu en songe à saint Ambroise, qu’ils lui aient enseigné l’endroit où étaient leurs reliques ? Que saint Ambroise les ait déterrées, et qu’elles aient guéri un aveugle ? Saint Augustin était alors à Milan ; c’est lui qui rapporte ce miracle, immenso populo teste, dit-il dans sa Cité de Dieu, liv. XXII. Voilà un miracle des mieux constatés. Les philosophes disent qu’ils n’en croient rien, que Gervais et Protais n’apparaissent à personne, qu’il importe fort peu au genre humain qu’on sache où sont les restes de leurs carcasses ; qu’ils n’ont pas plus de foi à cet aveugle qu’à celui de Vespasien ; que c’est un miracle inutile, que Dieu ne fait rien d’inutile ; et ils se tiennent fermes dans leurs principes. Mon respect pour saint Gervais et saint Protais ne me permet pas d’être de l’avis de ces philosophes ; je rends compte seulement de leur incrédulité. Ils font grand cas du passage de Lucien qui se trouve dans la mort de Peregrinus : « Quand un joueur de gobelets adroit se fait chrétien, il est sûr de faire fortune. » Mais comme Lucien est un auteur profane, il ne doit avoir aucune autorité parmi nous.