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MIRACLES.

faveur de trois ou quatre centaines de fourmis, sur ce petit amas de fange, le jeu éternel de ces ressorts immenses qui font mouvoir tout l’univers ?

Mais supposons que Dieu ait voulu distinguer un petit nombre d’hommes par des faveurs particulières : faudra-t-il qu’il change ce qu’il a établi pour tous les temps et pour tous les lieux ? Il n’a certes aucun besoin de ce changement, de cette inconstance, pour favoriser ses créatures ; ses faveurs sont dans ses lois mêmes. Il a tout prévu, tout arrangé pour elles ; toutes obéissent irrévocablement à la force qu’il a imprimée pour jamais dans la nature.

Pourquoi Dieu ferait-il un miracle ? Pour venir à bout d’un certain dessein sur quelques êtres vivants ! Il dirait donc : Je n’ai pu parvenir par la fabrique de l’univers, par mes décrets divins, par mes lois éternelles, à remplir un certain dessein ; je vais changer mes éternelles idées, mes lois immuables, pour tâcher d’exécuter ce que je n’ai pu faire par elles. Ce serait un aveu de sa faiblesse, et non de sa puissance ; ce serait, ce semble, dans lui la plus inconcevable contradiction. Ainsi donc, oser supposer à Dieu des miracles, c’est réellement l’insulter (si des hommes peuvent insulter Dieu). C’est lui dire : Vous êtes un être faible et inconséquent. Il est donc absurde de croire des miracles, c’est déshonorer en quelque sorte la Divinité.

On presse ces philosophes ; on leur dit : Vous avez beau exalter l’immutabilité de l’Être suprême, l’éternité de ses lois, la régularité de ses mondes infinis ; notre petit tas de boue a été tout couvert de miracles ; les histoires sont aussi remplies de prodiges que d’événements naturels. Les filles du grand-prêtre Anius changeaient tout ce qu’elles voulaient en blé, en vin, ou en huile ; Athalide, fille de Mercure, ressuscita plusieurs fois ; Esculape ressuscita Hippolyte ; Hercule arracha Alceste à la mort ; Hérès revint au monde après avoir passé quinze jours dans les enfers ; Romulus et Rémus naquirent d’un dieu et d’une vestale ; le palladium tomba du ciel dans la ville de Troie : la chevelure de Bérénice devint un assemblage d’étoiles ; la cabane de Baucis et de Philémon fut changée en un superbe temple ; la tête d’Orphée rendait des oracles après sa mort ; les murailles de Thèbes se construisirent d’elles-mêmes au son de la flûte, en présence des Grecs ; les guérisons faites dans le temple d’Esculape étaient innombrables, et nous avons encore des monuments chargés du nom des témoins oculaires des miracles d’Esculape.

Nommez-moi un peuple chez lequel il ne se soit pas opéré des