Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/616

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
606
YVETOT.

Rappelons, à propos de ce récit de Gaguin, l’observation que nous avons déjà faite[1] sur ce qu’il dit de l’établissement de l’université de Paris ; c’est qu’aucun des historiens contemporains ne fait mention de l’événement singulier qui, selon lui, fit ériger en royaume la seigneurie d’Yvetot[2] ; et, comme l’ont très-bien remarqué Claude Malingre et l’abbé de Vertot[3], Clotaire Ier, qu’on suppose souverain du bourg d’Yvetot, ne régnait point dans cette contrée ; les fiefs alors n’étaient point héréditaires ; l’on ne datait point les actes de l’an de grâce, comme le rapporte Robert Gaguin ; enfin le pape Agapet était déjà mort. Ajoutons que le droit d’ériger un fief en royaume appartenait exclusivement à l’empereur.

Ce n’est pas à dire cependant que les foudres de l’Église ne fussent déjà usitées du temps d’Agapet. On sait que saint Paul[4] excommunia l’incestueux de Corinthe ; on trouve aussi, dans les lettres de saint Basile, quelques exemples de censures générales dès le ive siècle. Une de ces lettres est contre un ravisseur. Le saint prélat y ordonne de faire rendre la fille à ses parents, d’exclure le ravisseur des prières, et de le déclarer excommunié, avec ses complices et toute sa maison, pendant trois ans ; il ordonne aussi d’exclure des prières tout le peuple de la bourgade qui a reçu la personne ravie.

Auxilius, jeune évêque, excommunia la famille entière de Clacitien ; et quoique saint Augustin ait désapprouvé cette conduite, et que le pape saint Léon ait établi les mêmes maximes que saint Augustin, dans une de ses lettres aux évêques de la province de Vienne, pour ne parler ici que de la France, Prétextat, évêque de Rouen, ayant été assassiné l’an 586, dans sa propre église, Leudovalde, évêque de Bayeux, ne laissa pas de mettre en interdit toutes les églises de Rouen, défendant d’y célébrer le service divin jusqu’à ce que l’on eût trouvé l’auteur du crime.

L’an 1141, Louis le Jeune ayant refusé de consentir à l’élection de Pierre de La Châtre, que le pape avait fait nommer à la place d’Albéric, archevêque de Bourges, mort l’année précédente, Innocent II mit toute la France en interdit.

  1. Voyez l’article Université, ci-dessus, page 545.
  2. Voyez dans les Mémoires de l’Académie des inscriptions, tome IV, page 728 et suiv., l’écrit de l’abbé de Vertot, intitulé Dissertation sur l’origine du royaume d’Yvetot.
  3. Il y avait encore de nom un roi d’Yvetot à l’époque de la Révolution française. C’était le comte d’Albon, élève de Court de Gébelin, et qui était, comme son maître, un érudit distingué. Il mourut en 1790. (G. A.)
  4. I. Corint., chapitre v, v. 5. (Note de Voltaire.)