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YVETOT.

il brave, tout malade qu’il est, les saisons, la disette, et les ennemis. Il ne perd que les soldats qui ne peuvent résister à la rigueur extrême de la saison. Que lui a-t-il manqué ? Une plus longue course, et des éloges exagérés à la grecque.


Y.


YVETOT[1].


C’est le nom d’un bourg de France, à six lieues de Rouen en Normandie, qu’on a qualifié de royaume pendant longtemps, d’après Robert Gaguin, historien du xvie siècle.

Cet écrivain rapporte que Gautier ou Vautier, seigneur d’Yvetot, chambrier du roi Clotaire Ier, ayant perdu les bonnes grâces de son maître par des calomnies dont on n’est pas avare à la cour, s’en bannit de son propre mouvement, passa dans les climats étrangers où, pendant dix ans, il fit la guerre aux ennemis de la foi ; qu’au bout de ce terme, se flattant que la colère du roi serait apaisée, il reprit le chemin de la France ; qu’il passa par Rome, où il vit le pape Agapet, dont il obtint des lettres de recommandation pour le roi, qui était alors à Soissons, capitale de ses États. Le seigneur d’Yvetot s’y rendit un jour de vendredi saint, et prit le temps que Clotaire était à l’église pour se jeter à ses pieds, en le conjurant de lui faire grâce par le mérite de celui qui, en pareil jour, avait répandu son sang pour le salut des hommes ; mais Clotaire, prince farouche et cruel, l’ayant reconnu, lui passa son épée au travers du corps.

Gaguin ajoute que le pape Agapet, ayant appris une action si indigne, menaça le roi des foudres de l’Église s’il ne réparait sa faute ; et que Clotaire, justement intimidé, et pour satisfaction du meurtre de son sujet, érigea la seigneurie d’Yvetot en royaume, en faveur des héritiers et des successeurs de Gautier ; qu’il en fit expédier des lettres signées de lui, et scellées de son sceau ; que c’est depuis ce temps-là que les seigneurs d’Yvetot portent le titre de rois : et je trouve, par une autorité constante et indubitable, continue Gaguin, qu’un événement aussi extraordinaire s’est passé en l’an de grâce 536.

  1. Voyez tome XIX, page 255.