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VOYAGE DE SAINT PIERRE À ROME.

attention ? Qui l’engageait à mentir si vainement ? Dans quel rêve a-t-on pu songer que lorsqu’on écrivait Babylone cela signifiait Rome ?

C’est d’après ces preuves assez concluantes que le judicieux Calmet conclut que le voyage de saint Pierre à Rome est prouvé par saint Pierre lui-même, qui marque expressément qu’il a écrit sa lettre de Babylone, c’est-à-dire de Rome, comme nous l’expliquons avec les anciens. Encore une fois, c’est puissamment raisonner ; il a probablement appris cette logique chez les vampires.

Le savant archevêque de Paris Marca, Dupin, Blondel, Spanheim, ne sont pas de cet avis ; mais enfin c’était celui de Papias, qui raisonnait comme Calmet, et qui fut suivi d’une foule d’écrivains si attachés à la sublimité de leurs principes qu’ils négligèrent quelquefois la saine critique et la raison.

C’est une très-mauvaise défaite des partisans du voyage, de dire que les Actes des apôtres sont destinés à l’histoire de Paul et non pas de Pierre, et que s’ils passent sous silence le séjour de Simon Barjone à Rome, c’est que les faits et gestes de Paul étaient l’unique objet de l’écrivain.

Les Actes parlent beaucoup de Simon Barjone, surnommé Pierre. C’est lui qui propose de donner un successeur à Judas. On le voit frapper de mort subite Ananie et sa femme, qui lui avaient donné leur bien, mais qui malheureusement n’avaient pas tout donné. On le voit ressusciter sa couturière Dorcas chez le corroyeur Simon, à Joppé. Il a une querelle dans Samarie avec Simon, surnommé le Magicien ; il va à Lippa, à Césarée, à Jérusalem : que coûtait-il de le faire aller à Rome ?

Il est bien difficile que Pierre soit allé à Rome, soit sous Tibère, soit sous Caligula, ou sous Claude, ou sous Néron. Le voyage du temps de Tibère n’est fondé que sur de prétendus fastes de Sicile apocryphes[1].

Un autre apocryphe, intitulé Catalogue d’évêques, fait au plus vite Pierre évêque de Rome, immédiatement après la mort de son maître.

Je ne sais quel conte arabe l’envoie à Rome sous Caligula. Eusèbe, trois cents ans après, le fait conduire à Rome sous Claude par une main divine, sans dire en quelle année.

Lactance, qui écrivait du temps de Constantin, est le premier auteur bien avéré qui ait dit que Pierre alla à Rome sous Néron, et qu’il y fut crucifié.

  1. Voyez Spanheim, Sacrœ antiq., livre III. (Note de Voltaire.)