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VOYAGE DE SAINT PIERRE À ROME.

4° Dans les lettres que Paul écrit de Rome, il ne parle jamais de Pierre : donc il est évident que Pierre n’y était pas.

5° Dans les lettres que Paul écrit à ses frères de Rome, pas le moindre compliment à Pierre, pas la moindre mention de lui : donc Pierre ne fit un voyage à Rome, ni quand Paul était en prison dans cette capitale, ni quand il en était dehors.

6° On n’a jamais connu aucune lettre de saint Pierre datée de Rome.

7° Quelques-uns, comme Paul Orose, Espagnol du ve siècle, veulent qu’il ait été à Rome les premières années de Claude ; et les Actes des apôtres disent qu’il était alors à Jérusalem, et les Épîtres de Paul disent qu’il était à Antioche.

8° Je ne prétends point apporter en preuve qu’à parler humainement et selon les règles de la critique profane Pierre ne pouvait guère aller de Jérusalem à Rome, ne sachant ni la langue latine, ni même la langue grecque, laquelle saint Paul parlait, quoique assez mal. Il est dit que les apôtres parlaient toutes les langues de l’univers ; ainsi je me tais.

9° Enfin, la première notion qu’on ait jamais eue du voyage de saint Pierre à Rome vient d’un nommé Papias, qui vivait encore cent ans après saint Pierre. Ce Papias était Phrygien, il écrivait dans la Phrygie, et il prétendit que saint Pierre était allé à Rome, sur ce que dans une de ses lettres il parle de Babylone. Nous avons en effet une lettre attribuée à saint Pierre, écrite en ces temps ténébreux, dans laquelle il est dit : « L’Église qui est à Babylone, ma femme et mon fils Marc, vous saluent. » Il a plu à quelques translateurs de traduire le mot qui veut dire ma femme, par la conchoisie, Babylone la conchoisie ; c’est traduire avec un grand sens.

Papias, qui était (il faut l’avouer) un des grands visionnaires de ces siècles, s’imagina que Babylone voulait dire Rome. Il était pourtant tout naturel que Pierre fût parti d’Antioche pour aller visiter les frères de Babylone. Il y eut toujours des Juifs à Babylone ; ils y firent continuellement le métier de courtiers et de porte-balles ; il est bien à croire que plusieurs disciples s’y réfugièrent, et que Pierre alla les encourager. Il n’y a pas plus de raison à imaginer que Babylone signifie Rome qu’à supposer que Rome signifie Babylone. Quelle idée extravagante de supposer que Pierre écrivait une exhortation à ses camarades, comme on écrit aujourd’hui en chiffres ! Craignait-il qu’on n’ouvrît sa lettre à la poste ? Pourquoi Pierre aurait-il craint qu’on n’eût connaissance de ses lettres juives, si inutiles selon le monde, et auxquelles il eût été impossible que les Romains eussent fait la moindre