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MARTYRS.

C’est insulter le christianisme que de rapporter ces fables, quoique avec une très-bonne intention.

Les pauvres gens qui redisent encore ces sottises sont des copistes qui remettent en in-octavo ou en in-douze d’anciens in-folio que les honnêtes gens ne lisent plus, et qui n’ont jamais ouvert un livre de saine critique. Ils ressassent les vieilles histoires de l’Église ; ils ne connaissent ni Middleton, ni Dodwel, ni Brucker, ni Dumoulin, ni Fabricius, ni Grabe, ni même Dupin, ni aucun de ceux qui ont porté depuis peu la lumière dans les ténèbres.

SECTION III[1].

On nous berne de martyres à faire pouffer de rire. On nous peint les Titus, les Trajan, les Marc-Aurèle, ces modèles de vertu, comme des monstres de cruauté. Fleury, abbé du Loc-Dieu, a déshonoré son histoire ecclésiastique par des contes qu’une vieille femme de bon sens ne ferait pas à des petits enfants.

Peut-on répéter sérieusement que les Romains condamnèrent sept vierges de soixante et dix ans chacune à passer par les mains de tous les jeunes gens de la ville d’Ancyre, eux qui punissaient de mort les vestales pour la moindre galanterie ?

C’est apparemment pour faire plaisir aux cabaretiers qu’on a imaginé qu’un cabaretier chrétien, nommé Théodote, pria Dieu de faire mourir ces sept vierges plutôt que de les exposer à perdre le plus vieux des pucelages. Dieu exauça le cabaretier pudibond, et le proconsul fit noyer dans un lac les sept demoiselles. Dès qu’elles furent noyées elles vinrent se plaindre à Théodote du tour qu’il leur avait joué, et le supplièrent instamment d’empêcher qu’elles ne fussent mangées des poissons. Théodote prend avec lui trois buveurs de sa taverne, marche au lac avec eux, précédé d’un flambeau céleste et d’un cavalier céleste, repêche les sept vieilles, les enterre, et finit par être décapité.

Dioclétien rencontre un petit garçon nommé saint Romain, qui était bègue ; il veut le faire brûler parce qu’il était chrétien ; trois juifs se trouvent là et se mettent à rire de ce que Jésus-Christ laisse brûler un petit garçon qui lui appartient ; ils crient que leur religion vaut mieux que la chrétienne, puisque Dieu a délivré Sidrac, Misac et Abdenago de la fournaise ardente ; aussitôt les flammes qui entouraient le jeune Romain, sans lui faire mal, se séparent et vont brûler les trois juifs.

  1. Faisait tout l’article dans une édition de 1765 du Dictionnaire philosophique. (B.)