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SUPPLICES.

proféré des paroles insensées, et qui fut pendu au lieu d’être purgé et saigné.

Nous avons demandé encore[1] s’il était bien nécessaire qu’un autre fou, qui était dans les gardes du corps et qui se fit quelques taillades légères avec un couteau, à l’exemple des charlatans, pour obtenir quelque récompense, fût pendu aussi par arrêt du parlement ? Était-ce là un grand crime ? Y avait-il un grand danger pour la société de laisser vivre cet homme ?

En quoi était-il nécessaire qu’on coupât la main et la langue au chevalier de La Barre ? qu’on appliqua la torture ordinaire et extraordinaire, et qu’on le brulât tout vif ? Telle fut sa sentence, prononcée par les Solons et les Lycurgues d’Abbeville. De quoi s’agissait-il ? Avait-il assassiné son père et sa mère ? Craignait-on qu’il ne mît le feu à la ville ? On l’accusait de quelques irrévérences, si secrètes que la sentence même ne les articula pas. Il avait, dit-on, chanté une vieille chanson que personne ne connaît ; il avait vu passer de loin une procession de capucins sans la saluer.

Il faut que chez certains peuples le plaisir de tuer son prochain en cérémonie, comme dit Boileau[2], et de lui faire souffrir des tourments épouvantables, soit un amusement bien agréable. Ces peuples habitent le quarante-neuvième degré de latitude ; c’est précisément la position des Iroquois, Il faut espérer qu’on les civilisera un jour.

Il y a toujours dans cette nation de barbares deux ou trois mille personnes très-aimables, d’un goût délicat, et de très-bonne compagnie, qui à la fin poliront les autres.

Je demanderais volontiers à ceux qui aiment tant à élever des gibets, des échafauds, des bûchers, et à faire tirer des arquebusades dans la cervelle, s’ils sont toujours en temps de famine, et s’ils tuent ainsi leurs semblables de peur d’avoir trop de monde à nourrir.

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1771, la Méprise d’Arras.
  2. Boileau, satire VIII, vers 295-96, a dit :

    .... Il voit la justice en grosse compagnie
    Mener tuer un homme avec cérémonie.