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SUPERSTITION.

consiste à prendre des pratiques inutiles pour des pratiques nécessaires. Parmi les catholiques romains il y en a de plus éclairés que leurs ancêtres, qui ont renoncé à beaucoup de ces usages, autrefois sacrés ; et ils se défendent sur les autres qu’ils ont conservés, en disant : Ils sont indifférents, et ce qui n’est qu’indifférent ne peut être un mal.

Il est difficile de marquer des bornes de la superstition. Un Français voyageant en Italie trouve presque tout superstitieux, et ne se trompe guère. L’archevêque de Cantorbéry prétend que l’archevêque de Paris est superstitieux ; les presbytériens font le même reproche à M. de Cantorbéry, et sont à leur tour traités de superstitieux par les quakers, qui sont les plus superstitieux de tous aux yeux des autres chrétiens.

Personne ne convient donc chez les sociétés chrétiennes de ce que c’est que la superstition. La secte qui semble le moins attaquée de cette maladie de l’esprit est celle qui a le moins de rites. Mais si avec peu de cérémonies elle est fortement attachée à une croyance absurde, cette croyance absurde équivaut, elle seule, à toutes les pratiques superstitieuses observées depuis Simon le Magicien jusqu’au curé Gauffridi[1].

Il est donc évident que c’est le fond de la religion d’une secte qui passe pour superstition chez une autre secte.

Les musulmans en accusent toutes les sociétés chrétiennes, et en sont accusés. Qui jugera ce grand procès ? Sera-ce la raison ? Mais chaque secte prétend avoir la raison de son côté. Ce sera donc la force qui jugera, en attendant que la raison pénètre dans un assez grand nombre de têtes pour désarmer la force.

Par exemple, il a été un temps dans l’Europe chrétienne où il n’était pas permis à de nouveaux époux de jouir des droits du mariage sans avoir acheté ce droit de l’évêque et du curé.

Quiconque dans son testament ne laissait pas une partie de son bien à l’Église était excommunié et privé de la sépulture. Cela s’appelait mourir déconfés, c’est-à-dire ne confessant pas la religion chrétienne. Et quand un chrétien mourait intestat, l’Église relevait le mort de cette excommunication, en faisant un testament pour lui, en stipulant et en se faisant payer le legs pieux que le défunt aurait dû faire.

C’est pourquoi le pape Grégoire IX et saint Louis ordonnèrent,

  1. Voyez dans les Histoires tragiques de notre temps (1666), composées par F. de Rosset, le chapitre ii : de l’Horrible et Espouventable Sorcelerie de Louys Goffredy, prestre de Marseille. (G. A.)