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SUICIDE.

Vices portant méchef. Gens de tel acabit,
Chiffonniers, Ostrogoths, maroufles que Dieu fit. »

De tous ces termes bas l’entassement facile Déshonore à la fois le génie et le style[1].



SUICIDE, ou HOMICIDE DE SOI-MÊME[2].


Il y a quelques années[3] qu’un Anglais, nommé Bacon Morris, ancien officier et homme de beaucoup d’esprit, me vint voir à Paris. Il était accablé d’une maladie cruelle dont il n’osait espérer la guérison. Après quelques visites, il entra un jour chez moi avec un sac et deux papiers à la main. « L’un de ces deux papiers, me dit-il, est mon testament ; le second est mon épitaphe ; et ce sac plein d’argent est destiné aux frais de mon enterrement. J’ai résolu d’éprouver pendant quinze jours ce que pourront les remèdes et le régime pour me rendre la vie moins insupportable ; et si je ne réussis pas, j’ai résolu de me tuer. Vous me ferez enterrer où il vous plaira ; mon épitaphe est courte. » Il me la fit lire, il n’y avait que ces deux mots de Pétrone : « Valete curæ[4], adieu les soins. »

Heureusement pour lui et pour moi, qui l’aimais, il guérit et ne se tua point. Il l’aurait sûrement fait comme il le disait. J’appris qu’avant son voyage en France, il avait passé à Rome dans le temps qu’on craignait, quoique sans raison, quelque attentat de la part des Anglais sur un prince respectable et infortuné[5]. Mon Dacon Morris fut soupçonné d’être venu dans la ville sainte pour une fort mauvaise intention. Il y était depuis quinze jours quand le gouverneur l’envoya chercher, et lui dit qu’il fallait s’en retourner dans vingt-quatre heures. « Ah ! répondit l’Anglais, je pars dans l’instant, car cet air-ci ne vaut rien pour un homme libre ; mais pourquoi me chassez-vous ? — On vous prie de vouloir bien vous en retourner, reprit le gouverneur, parce qu’on craint que vous n’attentiez à la vie du prétendant. —

  1. Voyez l’article Genre de style.
  2. Je ne connais pas d’impression de ce morceau antérieure à l’édition de Kehl ; toutefois les trois derniers alinéas avaient été imprimés dès 1739. (B.) — Voyez les notes sur l’article Caton, tome XVIII, pages 89, 92, 93.
  3. Ce fait se trouve à l’article Caton, mais avec moins de détail, tome XVIII, page 94.
  4. Satyricon, cap. lxxix.
  5. Charles-Édouard.